Yves Ravey
Trois jours chez ma tante
Ed. Les Éditions de Minuit, 2017 (188 p.)
Voyage au bout du passé
Vivre l’instant présent est une
philosophie commune dans le monde des mortels. La négation d’une époque
supposée révolue pourrait fonctionner comme un choix ou comme la nécessité pour
pouvoir continuer, car quand l’incapacité de faire face à la réalité l’emporte
sur le courage de l’assumer, une maxime s’impose : le temps résout-il tout ou
du moins efface-t-il tout ? Le temps possède-t-il réellement ce pouvoir
magique ? Trois jours chez ma tante semble répondre par la
négative.
Marcello Martini a fui la France avec
l’aide de sa tante chérie Vicky, à qui il rend visite non par choix ou par
devoir mais parce que cette dernière a manifesté un durcissement soudain de son
attitude vis-à-vis de lui. De la bienveillance et la générosité, elle passe à
la sévérité. Au fil des pages, le lecteur apprend que le héros a subi une
douloureuse trahison de la part de sa femme. Pour dépasser la tromperie, il a
choisi de se venger de sa femme en reniant leur fille, symbole de leur union,
et de son amant en le dénonçant avec une lettre délibérément écrite pour causer
sa perte.
En Afrique, où il s’est réfugié, Martini
n’a pas bâti une vie meilleure car les soupçons autour de son affaire
humanitaire commencent à se manifester. Pis encore, il se voit infliger un
déshéritement par sa tante, en guise de punition, après qu’elle ait découvert
que son cher neveu était loin d’avoir un passé limpide et innocent. C’est que
le mal de Martini réside en son refus de devenir adulte et de s’assumer après
avoir été couvé par la remplaçante de sa mère.
En somme, le dix-huitième roman de Yves
Ravey, lauréat du prix Marcel-Aymé pour Le Drap (2004) se lit en
l’espace de quelques heures grâce à son écriture fluide et à son style raffiné
qui porte le suspense à son paroxysme en poussant le lecteur à penser à
l’illusion de maîtrise dont d’aucuns ne peuvent se passer.
Rime Khalaf
Université Saint-Esprit de Kaslik
Marie-Hélène LAFON
Ed.
Buchet-Chastel, 2017 (183 p.)
Une violence douce...
Le monde de la réalité a ses limites ; le monde de
l’imagination est sans frontières.
Jean-Jacques Rousseau
Originaire
du Cantal, Marie Hélène Lafon, née en 1962, est un professeur de lettres et
écrivaine française. Elle est lauréate de plusieurs prix littéraires dont le Prix
Renaudot des Lycéens en 2001 pour son premier roman, Le soir du chien,
le Prix Marguerite Audoux en 2009 pour L’Annonce, ainsi que le Prix
Goncourt de la Nouvelle en 2016 pour Histoires.
Nos Vies, édité chez
Buchet-Chastel en 2017, raconte des vies possibles, imaginaires, imaginées
ou vécues. Des vies tout en couleurs qui se lient, se délient et se relient sur
une toile vertigineuse dans le contraste réel/imaginé.
Dès
l’incipit, dans une atmosphère empreinte d’une tension urbaine, le lecteur est
témoin de la naissance d’un être de papier. À la caisse quatre, au Franprix du
numéro 93 de la rue
du Rendez-Vous, dans le douzième arrondissement de Paris, la narratrice créa
Gordana. Dans des mots et des images riches et exquises,
Gordana prend vie et se métamorphose en un être de chair et d’os, sous l’œil
sidéré du lecteur.
Celle qui
dit « je » s’appelle Jeanne Santoire. Elle est l’accoucheuse et la
regardeuse, celle qui observe, contemple, imagine la vie ou les vies qu’elle
sent frémir autour d’elle. « J’ai l’œil, je n’oublie à peu près rien, ce
que j’ai oublié, je l’invente », avoue-t-elle.
Retraitée
et vivant à Paris, Jeanne comble sa solitude en inventant des récits de vies
pour Gordana et Horacio qu’elle rencontre chaque vendredi au Franprix de son
quartier. Elle leur suppose une vie. Elle conjugue cette vie au passé, au
présent et au futur. Peu à peu les esquisses évoluent en portraits aux contours
subtilement tracés et les personnages prennent consistance et épaisseur.
Cependant,
au détour des pages, des bribes de la vie de Jeanne s’entrelacent, comme des
arabesques, au paysage de ces vies inventées. En effet, Jeanne remonte le fil
de ses souvenirs et sème des fragments de son passé entre les lignes,
abandonnant le lecteur à sa faim : « Pendant quarante ans, je me suis
enfoncée dans le labyrinthe des vies flairées, humées, nouées, esquissées, comme
d’autres eussent crayonné, penchés sur un carnet à spirale. »
Nos Vies trace le
quotidien des hommes. Des thèmes divers sont évoqués comme l’amour, l’amitié,
la trahison, la déception, le divorce, l’abandon, le couple sans enfants,
l’immigration…, toutes les petites et les grandes choses qui font une vie. Sont
mis en exergue également le monde urbain et son rythme saccadé submergeant les
êtres de plus en plus cloîtrés dans leurs solitudes. En fait, la solitude
constitue le fil conducteur du roman de Lafon. Ces vies en miroir reflètent les
solitudes des êtres ordinaires, des êtres du commun, « des petites
gens » dans le monde des grandes villes où règne l’anonymat. Ces êtres
sont « enroutinés », immobilisés dans la mouvance du temps, ponctués
par d’éternels rituels ou par les horaires de ces grandes villes où l’on se
croise, se frôle et se côtoie, où l’on se reconnaît sans échanger une seule
parole.
Marie
Hélène Lafon creuse ces vies à coup de mots justes et magnifiquement choisis.
Avec une plume alerte et rapide faisant écho au rythme effréné des villes, elle
trace ces mots en les imprimant d’une tension inaccoutumée et en les dotant du
pouvoir unique d’inventer, de corriger, de refaire, de tisser, de nouer et de
dénouer. Elle recherche la rigueur qui retient l’émotion au bord des termes.
Elle s’amuse avec le verbe. Elle fait danser les syllabes et manie sa phrase
comme une pâte entre les doigts agiles d’un maître. Elle construit un texte où
la beauté rejaillit à chaque phrase pour faire apparaître de nouvelles vies. Un
glissement suave s’effectue alors de la fiction peuplée de personnages au réel
peuplé d’individus. Le lecteur ne peut que trouver des fragments de sa vie dans
le roman. Nos vies sortent de ces pages en éclaboussant nos yeux comme
les toiles des peintres fauves.
En fin de
compte, l’écriture seule rend mobiles et volatiles les points fixes de
l’existence. Toutefois, une question fondamentale se pose : dans notre
monde mondialisé et virtuel, ce roman ne représente-t-il pas un cri, un vibrant
cantique à la vie racontée, écoutée et partagée ? Nos Vies ne serait-il
pas un hymne à nos vies?
Joumana KANAAN
Département de Français
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines -
section2
Université Libanaise
Voilà que les rebondissements se multiplient, les situations s’enchaînent et s’aggravent, les épreuves se répètent, s’amplifient et s’accélèrent.
Kaouther ADIMI
Nos Richesses
Éd. Seuil, 2017 (217p.)
Éd. Seuil, 2017 (217p.)
Une Véritable Richesse
Kaouther Adimi, écrivaine
algérienne née en 1986 à Alger, s’est lancée dans l’écriture de son troisième
roman Nos Richesses, paru au Seuil en France et chez Barzakh en Algérie,
attirée par une phrase écrite en français et en arabe sur la façade vitrée
d’une librairie au 2 bis, Rue Hamani : « Un homme qui lit en vaut deux ».
C’est ainsi qu'elle a commencé ses recherches pour pouvoir raconter l’histoire
d’un homme qui a beaucoup combattu pour faire de son rêve une réalité. Il
s'agit d'Edmond Charlot, le fondateur de la librairie, bibliothèque et
maison d’édition « Les Vraies Richesses ».
K. Adimi présente son roman
sous la forme d’une exo-fiction puisqu'elle évoque des éléments réels et
mettant en jeu des célébrités ayant vraiment existé, dans le but de mettre en valeur les relations qui existent entre
libraires, bibliothécaires et éditeurs d'une part, et entre écrivains, poètes
et artistes d'autre part.
Cette librairie n’est pas
baptisée « Les Vraies Richesses » par hasard : elle réfère
sciemment au récit du grand auteur Jean Giono. En effet, le titre du roman
Nos Richesses explique que le monde raconté dans le livre est en soi une
richesse et un trésor et qu’il faut s’en rendre compte avant que nous les
perdions.
K. Adimi a mélangé les récits réels du
séjour d’un jeune appelé Ryad aux extraits du carnet imaginaire d’Edmond
Charlot. Elle les a aussi associés à l’histoire d’Alger pour pouvoir ainsi
créer une fiction riche en événements historiques : ceux de la grande Histoire,
notamment de la Deuxième Guerre mondiale, et ceux vécus par un homme qui n’a
jamais baissé les bras, Edmond Charlot.
Kaouther Adimi a usé de
prolepses et d’analepses pour présenter ses personnages. En premier lieu, elle
a évoqué l'état actuel, en 2017, de la librairie « Les Vraies
Richesses » en évoquant, comme premier personnage, son gardien Abdallah.
Puis, elle nous a présenté Ryad, un jeune homme de 20 ans qui,
la même année, retourne à Alger pour effectuer un stage manuel qui
consiste à transformer « Les Vraies Richesses » en une pâtisserie de
beignets pour ainsi valider son année d’ingénierie. Et enfin, apparait Charlot,
qui est rentré à Alger en 1935 pour créer « Les Vraies Richesses »,
cette librairie de valeurs, inspiré par Adrienne Monnier et sa librairie
parisienne. On découvre alors les personnes qui ont aidé Charlot à réaliser son
rêve, comme les membres de sa famille, en particulier son frère Pierre et sa
femme. Ensuite, le lecteur apprend que Pierre et sa femme s’apprêtent à gérer
la librairie lorsqu'Edmond, « désœuvré », part en France et revient
après deux ans pour implanter avec son oncle une autre librairie, laquelle
portera le nom de son ancienne revue, Rivages, qui sera
malheureusement plastiquée.
La description jalonne le
roman: l'écrivaine fait en sorte que les lecteurs connaissent tous les détails
des lieux évoqués, qu’ils les visitent avec les personnages du livre. Pour
cette raison, malgré la longueur de ces paragraphes descriptifs, le lecteur
reste suspendu au livre, d’autant plus que l'auteure ne fait part au lecteur du
destin de la librairie qu'aux dernières pages du roman.
L’approfondissement du monde
du livre, ses difficultés, les belles rencontres entre écrivains et éditeurs,
les actions et les péripéties (l’emprisonnement d’Edmond Charlot…) et surtout
la culture convoquée dans cette œuvre contribuent à faire d’elle une véritable
richesse.
À vous de découvrir ce monde
riche en valeurs humaines et littéraires !
N’hésitez pas, ce livre est
Une Vraie Richesse !
Rita
DANIEL
Département
de Langue et Littérature Françaises
Faculté
des lettres et sciences humaines -
section 2
Université libanaise
Yves Ravey
Trois jours chez ma tante
Ed. Les Éditions
de Minuit, 2017 (188 p.)
Entre l’amour et la trahison
Publié aux Éditions de Minuit, Trois jours chez ma tante est un roman d’Yves Ravey, écrivain né à
Besançon en 1953. Dans une interview, Yves Ravey s’explique sur le choix du
titre : « Il a surgi comme une évidence. En fait, ce narrateur passe
trois journées auprès de sa tante. Quoi de plus évident… ? » Le titre de
l’œuvre révèle donc bien l’histoire assez cahoteuse du narrateur Marcello
Martini qui revient au pays après vingt ans d’absence. Il est convoqué par sa
tante, une vieille dame richissime, qui va le déshériter. Une sombre histoire
de famille racontée par un supposé ‘loser’, Marcello Martini. « Elle avait
soi-disant tant de choses à me reprocher », s’inquiète Martini dès la
première page.
De surcroît, Vicky Novak s’apprête à suspendre les versements mensuels
que sa fondation verse à ‘L’école des enfants réfugiés’ édifiée par Marcello au
Liberia. Quel délit a donc contraint ce dernier à fuir en Afrique, il y a vingt
ans, grâce au soutien de l’influent Gaëtan Lièvremont ? De nombreux
marchés s’imposent, avec notamment l’apparition de Lydia, l’ex-femme de Marcello
qui a murmuré : « Rien n’avait changé, c’était toujours derrière moi
ce même parfum. Quel parfum ?... De trahison. » En fait, Marcello se
révèle parfaitement odieux. D’ailleurs, tous ses actes sont dictés par
l’intérêt mais sa maladresse fait qu’il en devient presque sympathique. Mais
Marcello doit confronter son passé. Imaginant toutes les ruses, il va presque
atteindre son but quand une histoire de stylo Mont-Blanc à encre violette vient
bouleverser la fin du récit.
Trois jours chez ma tante est une véritable mise en
perspective d’un avenir fondé sur un passé horrible, et régi par des impératifs
douteux : vouloir tout gagner, ne pas trop perdre, juste s’en tirer. Une
image de la société ? Oui, certainement ! À l’honneur de l’être humain
? Pas si certain! Quand être et avoir, tous deux auxiliaires de l’homme, se
mentent au quotidien, l’avenir devient improbable ! Le texte évoque de
fait la question du crime et de la trahison, et son thème traite de la
condition humaine. Il s’agit en effet de la relation affective entre une tante
et son neveu, mais aussi du rapport à l’argent et à la famille. Entre humour
noir, argent, héritage, suspense et infidélité, le lecteur se trouve captivé
dès le premier chapitre.
Yves Ravey ressemble en vérité à un champion olympique. D’un rien, il
vous fait plonger dans une atmosphère pesante et tendue. Cependant, derrière ce
suspense se cache l’exploration psychologique des personnages. L’auteur
accomplit un travail d’horloger : tout est dans la précision et le soin
des détails (dans les actions, les buts, les paroles, etc). Son écriture est
portée par l’exigence. Il se limite à l’histoire qu’il raconte et s’interdit
toute forme d’évasion ou d’interprétation.
Ce roman nous renvoie à Trois
jours chez ma tante dont l’histoire se déroule en France, à Lyon, dans un
très beau récit autobiographique, jadis publié dans la revue Devant la chambre. L’auteur
raconte quelques jours avec sa vraie tante, à Graz, au cours desquels
l’héritage nazi est très présent, d’où l’évocation de l’Autriche occupée par
les Allemands, pays de sa mère. Le passé imprégné par le nazisme occupe une
place fondamentale dans son œuvre.
Cette intrigue minutieusement
élaborée, liée à une lecture captivante, allant de mystère en mystère, de
révélation en révélation, ne peut qu’envoûter le lecteur. Néanmoins, pour les
lecteurs sensibles à l’humour noir que le roman présente, les actes impensables
et disproportionnés qui mènent le narrateur à la chute vous laisseront sans
voix.
Yvonne TAWTAH
Département
de Français
Faculté
des Lettres et des Sciences Humaines - section2
Université Libanaise
Philipe JAENADA
La serpe
Éd. Julliard, 2017 (643 p.)
Coupable ou non
coupable ?
Publié aux Éditions Julliard
en 2017, La serpe est le roman de l’écrivain français Philipe Jaenada,
né en 1964.
Si l’auteur a choisi ce titre
pour son roman, c’est que la serpe représente l’arme du crime. En fait, Philipe
Jaenada y retrace un meurtre non élucidé commis, en 1941, par Henri Girard dans
le château de Périgord. L’auteur, qui a été mis au courant de ce crime
abominable par son ami, décide de partir à la chasse aux énigmes. N’étant pas
convaincu par l’enquête de l’époque il prend le parti d’exhumer les pièces de
celle-ci ainsi que celles du procès, de fouiller la correspondance familiale,
d’effectuer les recoupements nécessaires et de comparer les témoignages.
Vêtu de son manteau d’écrivain
ainsi que de celui de l’enquêteur, P. Jaenada nous raconte dans son roman de
600 pages toutes les péripéties, tous les obstacles qu’il a surmontés. Nous
remarquons que, depuis le début du roman, il a été confronté à de nombreuses
difficultés. «Un voyant rouge s’allume sur le tableau de bord de la Mariva que
j’ai louée ce matin » (p. 16). En effet, les premières pages sont remplies
d’humour et de digressions plus ou moins heureuses. On y sent un vrai ton,
porté par des va-et-vient incessants entre l’époque du crime et celle de
l’enquête.
L’enquêteur Jaenada nous
présente l’incontournable Henri Girard tel un démon et « un sale gosse.
Capricieux, irascible, violent, cynique et méprisant, il pompe tout l’argent
qu’il peut, le claque en n’importe quoi, éclate de colère quand on refuse de le
renflouer assez rapidement et s’ils s’entêtent à ne pas lui donner tout ce
qu’il veut, vend leurs meubles ou leurs bijoux dès qu’ils regardent ailleurs.
Les parents sont là pour servir les enfants dit Henri » (p. 22).
Un beau soir, après avoir dîné
et fermé toutes les portes du château à double tour, tous les habitants montent
dans leur chambre pour dormir. Le lendemain matin, Henri pousse un cri
d’horreur et appelle la police : il s’est réveillé en découvrant les corps
de son père, de sa tante et de la bonne Louise tués par la serpe qu’il avait
empruntée deux jours auparavant au gardien du château. Cette scène abjecte et
atroce est magnifiquement décrite par l’auteur. À cet effet, ce dernier a pris appui
sur une abondante documentation. « En face de la porte, la tête contre le
buffet et les pieds vers eux, la vieille Louise git dans son sang sur le dos,
les yeux grands ouverts, les mains relevés á hauteur des épaules, le visage
tailladé et le crâne fracassé comme une noix de coco… » (p. 177). Comme il est à la fois le seul survivant et le seul
héritier, les soupçons se portent tout de suite sur le jeune Henri. D’emblée le
comportement du suspect est retenu contre lui : il est trop calme, offre des cigarettes
à la ronde et joue un air de Chopin au piano pendant qu’un maximum de gens
patauge dans les flaques de sang. Aucune trace de sang, en revanche, sur ses
mains ou ses affaires. Emprisonné pendant dix-neuf mois en attendant son
procès, il supplie le juge d’instruction de se renseigner sur les métayers qui
auraient eu des raisons d’en vouloir à son père. Il donne un nom : «Je ne le cite que pour montrer à quel point votre
recherche d’autres pistes que la mienne me paraît avoir été insuffisante.» Son
procès a lieu entre le 27 mai et le 2 juin 1943. Mais il ne
faudra pas plus de dix minutes aux jurés pour, contre toute attente, le
déclarer innocent grâce à la plaidoirie de Maurice Garçon, son avocat. Fuyant
tous les protagonistes de l’affaire, il embarque en 1947 pour le Venezuela où
il publie en 1950 son premier roman, Le salaire de la peur sous le nom
de Georges Arnaud.
Enfin, avant sa
mort, Henri Girard avouera avoir commis ce meurtre abominable mais le fait
demeure tout de même incertain jusqu’à aujourd’hui en raison du manque de
preuves.
Ce livre rempli
d’intrigues consciencieusement élaborées, associées à un style saccadé et
palpitant, rempli de mystères et de rebondissements, ne peut qu’appâter le
lecteur et le laisser douter de l’innocence ou de la culpabilité d’Henri
Girard.
Rose-Marie MACHAALANY
Département de Langue et Littérature Françaises
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines – Section
2
Université Libanaise
Brigitte
GIRAUD
Un loup pour l’homme
Éd. Flammarion, 2017 (245 p.)
Mission fatale
<<C’est violent d’aimer dans ces moments-là>>.
Antoine est appelé sous les drapeaux. C’est un jeune
soldat français plein d’espoirs et d’ambitions, sur le point d’avoir un bébé de
son épouse Lila, mais le service militaire a fait irruption dans sa vie et a
tout bousculé. Il laisse tout derrière lui pour suivre les ordres militaires et
débarque sur la baie d’Alger. Pourtant, au lieu de tenir un fusil à la main, il
choisit d’être infirmier. À l’hôpital militaire, une intimité profonde va se
nouer entre Oscar, un homme amputé, et Antoine qui le fascine. Lila, sa femme,
va alors décider de le rejoindre en plein conflit.
Dans une sorte d’autobiographie romancée, Brigitte Giraud
explique qu’en fait, ce livre est l’histoire de sa famille. Et revenant sur sa
propre vie, elle met certainement beaucoup d’elle-même dans cette histoire. En
effet, elle est d’origine algérienne et la vie d’Antoine et Lila n’est qu’un
reflet de sa vie familiale.
À un certain moment de la lecture, on se trouve suspendu
dans l’attente mais c’est une attente qui n’en finit pas : tout
simplement, “c’est la guerre”. Bien que cette romancière lyonnaise traite
plusieurs problématiques de poids, telles que les relations d’amitié durant la
guerre et la rupture familiale, on ne doit pas nier l’importance du rôle du
rythme de la narration qui accuse le contraste entre la menace oppressante des
embuscades et la luminosité des paysages éblouissants de soleil :<<L’Algérie,
ce n’est pas la même chose qu’une guerre>>.
Par le biais d’individus ordinaires et de lieux vrais, la
plume vivante et passionnante de Brigitte Giraud nous met devant une femme
idéale qui n’a pas envie de faire comme les autres femmes qui subissent et se
lamentent. Lila est dans un face-à-face avec la guerre et essaye d’en
triompher : c’est sans doute cela, le véritable amour couronné par le
sacrifice volontaire. Bref, l’amour pour Brigitte Giraud est comme la guerre,
facile à démarrer, difficile à finir…. et impossible à oublier.
Randa AL HAJJ
Département de
Lettres Françaises
Université
Saint-Joseph
Yves RAVEY
Trois jours chez ma tante
Éd. Les Éditions de Minuit, 2017 (188 p.)
À la recherche d'une
réalité perdue…
"Que
répondre? Vicky a poursuivi: je regrette d'en passer par-là, mais après ce que
j'ai appris te concernant… elle n'a pas terminé sa phrase. J'ai quand même
demandé d'où venait cette décision?"
Faire
resurgir un passé quasi-effacé et être un antidote à l'oubli est certainement
l'une des principales vocations de l'art romanesque. Cependant, à cette
première mission, s'en ajoute une autre non moins importante. Comme il est
devenu nécessaire de rétablir le contact entre le lecteur et l'Histoire, il est
désormais encore plus indispensable de le rendre conscient des différents
aspects de la réalité contemporaine. Ainsi, fictionnaliser le présent dans le
but de l'analyser sous tous ses angles, constitue la finalité fondamentale du
livre intitulé Trois jours chez ma tante d'Yves Ravey.
Après vingt
ans d'absence, Marcello Martini, un jeune homme français, a finalement quitté
l'Afrique pour la France afin de rencontrer sa tante Vicky. Celle-ci est une
vieille dame fortunée, responsable d'une importante Fondation. Elle habite dans
une maison de retraite médicalisée, et a été elle-même à l'origine de ce voyage
en usant d'une stratégie particulière. Arrivé chez elle, il essaye de percer
les vraies raisons de sa présence et s’interroge sur cet air indifférent
qu'adopte Vicky à son égard. Au départ, le lecteur, à l'instar de Martini, est
dans l'incompréhension totale, déstabilisé face à une ambiguïté qui débouche
sur plusieurs interrogations. Sauf que cette obscurité qui s'abat sur le récit
dès son début ne va pas être facilement dissipée : au contraire, elle ira
se densifiant, se ramifiant et touchant plusieurs autres éléments de
l'intrigue. En effet, on ne tarde pas à apprendre que, pour des raisons
secrètes, la tante Vicky a décidé de déshériter son seul neveu, ainsi que
d'arrêter de lui envoyer de l'argent en Afrique, contrairement à ce qu'elle a
toujours fait auparavant. Et c'est à ce stade du récit que le narrateur porte
l'ambiguïté à son paroxysme, créant ainsi un effet de suspense qui persiste
jusqu'au bout. Pourquoi cette décision assez dure et surprenante? Est-ce normal
d'agir de la sorte vis-à-vis de quelqu'un qui n'a rien commis de grave? Est-ce
une manière de récompenser un homme qui travaille pour le bien du monde?
Martini a en effet été, en Afrique, le fondateur d'une école aménagée pour les
enfants réfugiés, et les virements mensuels de Vicky jouaient un rôle
considérable dans la pérennité de cette mission. À la recherche d'une réponse, la lecture se fait
véritable quête d'identité, déchiffrement d'une personnalité insaisissable,
énigmatique, sombre et mystérieuse. Ainsi,
le lecteur va agir comme un
détective et se lance dans sa propre enquête, l'objet principal en étant de
sonder le passé ténébreux de Marcello. De nombreux questionnements suscitent
notre envie de savoir, notre curiosité d'atteindre la vérité que cache ce doute
enfanté par les pages, et à l'issue de cette recherche, on découvre finalement
que la vérité en question gravite autour d'une affaire de vengeance. Mais
quelle vengeance? C'est à vous de le découvrir…. L’'identité, voire le passé de Martini concrétisent certains
aspects d'une réalité vécue par le lecteur lui-même. À travers la mise en
scène d'un antihéros, Yves Ravey nous place face à un monde altéré, miné par la
corruption, la tromperie et la manipulation.
Pamela ZREIKA
Département
de Lettres Françaises
Université Saint-Joseph
Yves Ravey
Trois jours chez ma tante
Ed.
Les Éditions de Minuit, 2017 (188 p.)
Et tout le reste n’est que mystère…
Connaissez-vous le héros de Trois jours chez ma tante ? La réponse est NON ! Voyons donc voir qui est ce monsieur
mystérieux. L’histoire est celle d’un jeune homme qui s’appelle Marcello
Martini, vivant en Afrique et précisément au Liberia depuis 20 ans, et qui est
le responsable d’un foyer pour enfants africains. Un jour, il reçoit une lettre de sa tante Vicky
Novack, qui vit en France dans une maison de retraite, et elle lui annonce
qu’elle va le déshériter. Marcello se rend donc pour un court séjour en France
afin de découvrir la raison de cette décision. Marcello va ainsi à la rencontre
de sa tante et des conversations commencent…Quelles sont les raisons qui ont
poussé la tante Vicky à prendre cette décision ? Qu’a fait Marcello ?
Les réponses sont dans le roman…
Yves Ravey, auteur et dramaturge français, est né en 1953 à
Besançon. Il a été Lauréat du Prix Marcel-Aymé en 2004 pour son roman Le Drap et a écrit plusieurs romans,
parmi lesquels Trois jours chez ma tante
publié chez Minuit.
D’emblée, dès la première page de ce roman, on remarque
l’écriture simple et fluide de cet auteur : « Il pleuvait, l’eau
s’écoulait du toit en tôle sur la terrasse de l’école… » (p. 7). De
nombreuses descriptions sont mises en relief dans ce roman. Ravey s’arrête sur
chaque détail pour le développer, mais une question se pose : dans quel
but fait-il cela ? Est-ce pour créer le suspense chez le lecteur ou pour
cacher le mystère ? En guise d’exemple : « Elle tenait un
tube de rouge à lèvres qu’elle a posé, debout en équilibre, sur une tablette
près du lit » (p. 14). Ravey s’attarde sur le moindre détail, qui est
parfois inutile, seulement pour créer une atmosphère pleine de suspense et pour
encourager le lecteur à lire son roman en quelques heures seulement.
De surcroît, la présence d’ellipses dans ce roman est
frappante, comme la première rencontre de Rébecca avec son père, Marcello.
Après cette rencontre on ne sait pas exactement ce qui s’est passé et quelle
était la réaction de Rébecca, ni pourquoi Marcello a renié sa fille. En
parallèle, la fréquence du discours indirect libre appuie l’idée du mystère
dans ce roman. Seul Marcello, le narrateur, prend la parole tout au long du
roman et montre qu’il cherche à cacher la vérité : « […] Mais lui, il
dit que ce n’est pas vos paroles qui l’intéressent, mais ce qu’il voit…Et qu’est-ce
qu’il y a à voir, Honorable… ? Justement, il a consulté les
registres… » (p. 118). En lisant ce passage, l’on s’interroge sur le
travail de Marcello. Travaille-t-il vraiment dans une école pour
enfants et s’occupe-t-il réellement d’eux ?
Le thème du mystère et du secret est dominant dans Trois jours chez ma tante. Ce mystère
entoure les actions de Marcello, d’abord dans son passé obscur, puis dans son
travail au Liberia. Enfin, pour quelle raison a-t-il renié sa fille
Rebecca ? Est-ce seulement pour se venger de Lydia ? Ou il y a une
autre raison cachée ?
Pour terminer, Trois
jours chez ma tante semble un roman simple au début mais en le lisant, on
se rend compte qu’il faut déchiffrer et construire la vérité. Mais ce roman
peut-il être considéré comme un livre littéraire ?
Nathalie BAROUD
Département de
Lettres Françaises
Université
Saint-Joseph
Frédéric
VERGER
Les Rêveuses
Éd. Gallimard, 2017 (448 p.)
Éd. Gallimard, 2017 (448 p.)
Rêver
à haute voix !
Écrivain
et chroniqueur français, Frédéric Verger publie en 2017, aux Éditions
Gallimard, son deuxième roman, Les Rêveuses.
La
vie au sein de la cellule familiale est le thème essentiel qui parcourt le
roman. S’y ajoutent également des sujets secondaires comme l’usurpation
d’identité ou la persécution des Juifs par les Allemands.
L’histoire
tourne autour d’un personnage principal. Sa construction est un mélange de
Peter et d’Alexandre. Peter Siderman est un jeune homme allemand de dix-sept
ans, engagé dans l’armée française. Pour rester en vie, il usurpe l’identité
d’un mort, Alexandre, dont il ne sait rien. Pourtant, il s’inspire des écrits
d’Alexandre, se les approprie, les rapporte lors des conversations :
« Il aperçut son reflet dans le miroir. Le personnage, les mains dans les
poches, le fixant d’un air amical, insolent, semblait le mettre au défi de
faire quelque chose de lui. »
D’autres
personnages secondaires sont avancés, telle Sofia Evseivna, veuve et mère
d’Alexandre. Bien qu’aveugle, celle-ci découvre, dès la première rencontre,
qu’il ne s’agit pas de son fils : « Sur les manches, les papillons
frissonnèrent, la vieille se redressa. Assise sur le lit, sa chevelure grise
balançant, elle ouvrit les yeux. Ils fixaient quelqu’un qu’elle était la seule
à voir. Sa voix grinça, roulant les « r ».
"Jeune
homme, puisque je montre que je ne suis pas morte, dites-nous donc qui vous
êtes." »
De
leur côté, les deux cousines, Hélène et Joséphine, tiennent à garder le secret.
Pourquoi ? Cet homme est pourtant un imposteur. Il a pris l’identité de
leur Alexandre mais personne ne le dénonce auprès des autorités. Je n’en dis
pas plus…
Le
commandant, le valet et bien d’autres personnages entrent également en scène.
La
signification du titre du roman, Les Rêveuses, est révélée au fil
du récit : Peter va tenter de retrouver Blanche d’Etrigny-Weissman, la
cousine d’Alexandre, enfermée dans un couvent où furent jadis cloitrées des
sœurs qui rêvaient et racontaient à haute voix leurs songes. Blanche appelait
son cousin à son secours en lui envoyant de mystérieux courriers :
« Il y avait à Ourthières, pas loin d’ici, au bord de la Sauvre, un couvent
où depuis des années, des siècles même, quand des nonnes se mettaient à rêver
la nuit à voix haute, on notait ce qu’elles racontaient. »
Voilà
que les rebondissements se multiplient, les situations s’enchaînent et
s’aggravent, les épreuves se répètent, s’amplifient et s’accélèrent.
Les
Rêveuses est un roman de rêves, digressif mais
parfaitement structuré. Le pays de Bray, « aux confins de la
Lorraine », est imaginaire, comme sont imaginées les sœurs
« rêveuses » au fond de leur couvent, non loin de Bray. Et c’est dans
ce pays enchanté que tombe Peter Siderman. Il y découvre sa nouvelle identité
et sa famille d’adoption.
Le
roman est rédigé avec une grande richesse d’écriture et de vocabulaire. Génie
de la description et de la maitrise du style, Frédéric Verger nous tient en
éveil de bout en bout.
Ce
roman est une déclinaison du rêve : la rêverie, l’affabulation,
l’onirisme, le délire, la folie, mais aussi l’ivresse de la musique, de la
danse…
Tout y est intrigue et s’imbrique à merveille.
Tout y est intrigue et s’imbrique à merveille.
Finalement,
cette appropriation au détriment d’un mort, pour sauver sa peau, est-elle
effectivement jugée comme un crime ? Ne serait-ce pas tout simplement un
devoir de survie ?
Clara ABOU NADER
Département de Langue et Littérature Françaises
Département de Langue et Littérature Françaises
Faculté des Lettres et des Sciences
Humaines – Section 2
Université
Libanaise
Kaouther ADIMI
Nos richesses
Éd.
Seuil, 2017 (224 p.)
La librairie qui résiste encore
Une
fable réelle, mais qui n’est pas ennuyeuse, et convoque des faits historiques
pour rappeler que la culture et la diversité sont un rempart contre la
tyrannie. Kaouther Adimi nous ramène à l'atmosphère algérienne d'avant-guerre
et à l'invasion nazie. En usant de la technique du flashback, K. Adimi
procède à la reconstitution de cette période, en pointant la relation entre le
gouvernement et le savoir ou la culture en général. C’est un roman qui oscille
entre passé et présent pour raconter l'histoire douloureuse d’une Algérie liée,
en quelque sorte, à la France. Entre les extraits du journal d'Edmond Charlot,
libraire, éditeur, bibliothécaire, passionné de littérature et
"accoucheur" de nouveaux écrivains (dont le célèbre Albert Camus),
nous plongeons dans son autobiographie depuis l'ouverture de sa petite librairie
baptisée "Les Vraies Richesses" au 2 bis de la rue Hamani (ex rue
Charras) à Alger durant les années 1930 du siècle dernier jusqu'à la
disparition de cette même librairie en 2017. Le présent immédiat est quant à
lui représenté par Ryad, un jeune du même âge qu’avait Charlot lorsqu'il a
débuté son métier d'éditeur, et qui par contre, n'a aucun goût pour la
littérature, ni pour les livres.
C'est
un texte émouvant, réaliste. Un texte qui donne envie de (re)découvrir les
auteurs qui y sont cités. Le roman se divise en trois parties, l'histoire de
l'homme, l'histoire de la librairie et l'histoire du monde.
Diplômée
en lettres modernes et en management des ressources humaines, l’auteur
travaille aujourd'hui à Paris où elle vit depuis 2009. Ses nouvelles ont été
distinguées à deux reprises par le prix du jeune écrivain francophone de Muret
(2006 et 2008) et par le prix du FELIV (Festival international de la
littérature et du livre de jeunesse d’Alger) en 2008. L'Envers des autres,
son premier roman publié en mai 2011 aux Éditions Actes Sud a auparavant été
édité en Algérie par les éditions Barzakh sous le titre Des ballerines de
Papicha en juin 2010. Elle a obtenu le Prix de la Vocation en 2011. En
2016, paraît son deuxième roman Des pierres dans ma poche aux Éditions
du Seuil (Publication Barzakh en novembre 2015), œuvre qui a bénéficié d'un
succès critique et de sélections sur de nombreuses listes de prix.
Le
lecteur n’aura qu’à admirer le talent de la romancière, goûtant la simplicité
et la vivacité du style de l'auteur. En dépit de la séparation des actions et
des événements, répartis entre hier et aujourd'hui, on ne sera pas perdu. L’on
appréciera enfin l’éloquence des figures de style et l’importance des petits
détails, en se laissant porter par cette épopée littéraire et historique.
Mohamed Khaled MOHAMED
Département
de Langue et Littératures Françaises
Faculté des
Langues et de Traduction
Université d'Al-Azhar
Brigitte GIRAUD
Un loup pour l'homme
Éd.
Flammarion, 2017 (246 p.)
La vie angoissante
Qu'est-ce
qui est pire, quitter sa femme ou son pays ? Antoine travaillait comme
télégraphiste depuis qu'il avait seize ans. Habitant à Lyon, il est appelé pour
l'Algérie au printemps de 1960. Au moment où Lila, sa toute jeune femme, est
enceinte. Il en était presque gêné, et avait osé avouer qu'il n'était pas d'un
tempérament guerrier. Par la suite, il a demandé à ne pas tenir une arme et
s’est retrouvé infirmier à l'hôpital militaire de Sidi-Bel-Abbès. À l'étage, il
y a Oscar, jeune caporal amputé de la jambe gauche et enfermé dans un mutisme
têtu, qui l'aimante étrangement. Avec lui, Antoine découvre la véritable raison
de sa présence ici : « prendre soin ». Oscar parlait souvent d'un berger dans
une montagne, qui fabriquait des pièges pour attraper les loups, animaux dont
il est obsédé.
Dans
ce qui est son neuvième roman, Un loup pour l'homme, Brigitte Giraud
raconte l'histoire de ses parents. Née en 1960 à Sidi-Bel-Abbès en Algérie,
elle a été lauréate du prix Goncourt de la nouvelle en 2007 L'amour est très
surestimé. Elle reçoit en 2001 la mention spéciale du prix Wepler pour À
présent, ainsi que le Prix du Jury Jean-Giono pour Une année étrangère
en 2009. Elle est l'auteure d’une pièce de théâtre et de nombreux romans
traduits dans une douzaine de langues et dans une vingtaine de pays, et elle
dirige la collection littéraire « La forêt » aux éditions Stock.
Quant
à son écriture, elle est sobre, dépouillée de toute émotion : écriture
nerveuse faite de phrases courtes, où la proposition verbale prédomine et
contribue à accélérer les enchaînements comme à intensifier les émotions des
personnes. On peut dire que ce roman est à la fois épique et sensible, dans la
mesure où Brigitte Giraud raconte la guerre vue par un homme, Antoine, miroir
intime d'une époque tourmentée et d'une génération embarquée malgré elle dans
une histoire qui n'était pas la sienne. À vrai dire, l'auteur nous fait
pénétrer dans cette histoire en nous captivant dès la première partie.
L'écrivaine réveille pareillement nos sens jusqu'à la dernière phrase, en vue
de nous représenter cette époque trouble sur les plans culturel, politique et
social. En tant que lecteur, j'ai beaucoup apprécié la manière dont elle décrit
les Arabes, surtout les Algériens. Mais il n’en demeure pas moins que l’on peut
lire des sentences contradictoires telles que « les Arabes ne feront jamais la
loi » et « les Arabes vivent toujours tout comme une injustice », prononcées
par Alcaraz.
Au
bout de la lecture, nous sortons secoués, saisis par des interrogations
vertigineuses : Qui se comporterait normalement après avoir sauté sur une mine
? Qui aurait envie de faire des tours de chaise avec une jambe amputée ? À qui
appartient donc la terre, aux indigènes qui y vivaient avant ou aux colons qui
l'ont fait fructifier ?
Moustafa SHERIF
Département
de Langue et Littératures Françaises
Faculté des
Langues et de Traduction
Université
d'Al-Azhar
Yves RAVEY
Trois jours chez ma tante
Éd.
Les Éditions de Minuit, 2017 (187 p.)
Une mission chez la vieille
chouette
Yves
Ravey est né en 1953 à Besançon où il occupe actuellement le poste de
professeur d'arts plastiques et de français au collège Stendhal. Son premier
roman, La Table des singes, fut édité aux Éditions Gallimard en 1989
grâce à l'intervention de Pascal Quignard. En effet Y. Ravey comptait beaucoup
de manuscrits refusés. Gallimard ne désirait plus poursuivre sa collaboration
avec lui avant que Jérôme Lindon, qui dirige Les Éditions de Minuit et qui a
l'habitude de publier des écrivains dont aucun éditeur ne veut, prenne contact
avec lui pour publier son roman Depuis le Bureau des illettrés en 1992.
Depuis ce moment, Y. Ravey confie régulièrement à J. Lindon des romans et des
pièces de théâtre.
Trois
jours chez ma tante
est un roman dont Marcello est le narrateur et le héros. Un roman noir, sombre,
une histoire de famille dont le thème central est la domination avec comme
adjuvant l'argent. Après vingt ans d’absence, Marcello est convoqué par sa
tante, une vieille dame fortunée, qui lui signifie qu’elle n’est plus disposée
à l’aider financièrement et qu’elle met fin au virement mensuel effectué en sa
faveur. Elle le laissera ainsi littéralement sur la paille. Or cette nouvelle
perturbe son séjour au Liberia, un pays à l'Ouest de l`Afrique. Il réserve donc
un billet d’avion pour aller en France revoir sa tante et tenter de rétablir la
situation, en essayant de la dissuader de cette décision. Il a trois jours
devant lui pour mener à bien cette mission et revenir à ses affaires. Marcello
s’impatiente, il doit jouer le tout pour le tout : il faut pousser la tante à
signer un ultime gros chèque avec lequel il pourra rentrer au Liberia et régler
les nouveaux problèmes apparus là-bas.
Mais
Vicky, sa tante, a toute sa tête malgré sa résidence en maison de santé. Au fil
du texte on apprendra pourquoi Marcello a quitté la France, et quels étaient
les motifs de ce départ. Était-ce pour une jeune fille ? Pour de l’argent,
ou pour une autre raison ? Pourquoi s’est-il séparé de Lydia, son ex-femme,
Lydia qui joua un grand rôle dans la manipulation de sa tante ? Que
s’est-il vraiment produit entre eux deux ? Et Rebecca, sa fille, est-elle
vraiment sa fille ? Acceptera-t-il de la reconnaitre comme sa fille ?
Le
style d’Yves Ravey est limpide, l’humour y est noir. L’auteur fait avancer son
intrigue dans une ambiance quelque peu oppressante dont l’effet de suspense
subsiste jusqu'au bout. L’auteur structure son récit, composé d’une suite de
petites phrases, de manière séquentielle. Aussi tourne-t-on les pages de ce
roman avec délectation pour connaître au plus vite ce qu’il va advenir de Marcello.
Ahmed Ali Ahmed QOTB
Département
de Langue et Littératures Françaises
Faculté des
Langues et de Traduction
Université
d'Al-Azhar
Marie-Hélène LAFON
Nos vies
Éditions
Buchet-Chastel, 2017 (192 p.)
La solitude mène à la réflexion
Professeur
agrégée de Lettres Classiques, Marie-Hélène Lafon est née en 1962 à Aurillac
(Cantal). Elle enseigne le français, le latin et le grec, en banlieue
parisienne, puis à Paris où elle vit célibataire et sans enfant. Elle écrit
depuis 1996 et publie depuis 2001 des romans et des nouvelles, publiés
essentiellement chez Buchet-Chastel, construisant pas à pas une œuvre qui
trouve de plus en plus son public.
Le
roman commence au Franprix de la rue du Rendez-vous à Paris. Jeanne est
retraitée et vient faire ses courses deux fois par semaine dans ce supermarché.
Tous les vendredis, elle croise un homme qui va toujours à la même caisse,
celle de Gordana. Dans ce récit où elle est la narratrice, elle imagine la vie
de ces deux personnes tout en racontant sa propre histoire, en dévoilant ses
amours et déceptions passées. La première partie du roman commence par la
description physique de Gordana, sa voix, son accent et son prénom qui viennent
de loin, des frontières refusées, des exils forcés. Gordana est caissière, elle
a un enfant qui restera chez sa grand-mère ou chez sa tante. L’enfant a sept ou
huit ans et sa mère lui envoie de l'argent chaque mois et lui parle au
téléphone une ou deux fois par semaine.
La
narratrice, Jeanne Santoire, fille de commerçants de province, ancienne
comptable, est une retraitée solitaire, de sa grand-mère aveugle, de la
vieillesse de ses parents. L’homme de sa vie, Karim, est un Algérien. Un jour,
il part pour l’Algérie et ne reviendra jamais, sans plus d’explication parce
que ses parents ont refusé cette relation. Plus tard, elle apprendra qu’il vit
à Marseille, marié, avec un enfant. Elle aime imaginer, observer : « J'ai
l'œil, je n'oublie à peu près rien, ce que j'ai oublié, je l'invente. » Elle
poursuit dans Nos vies ce qu'elle a toujours fait pour sa grand-mère
Lucie qui disait que grâce à elle, « elle voyait mieux qu'avant son attaque. ».
En parallèle, Horacio est un client comme Jeanne Santoire, un homme de
quarante-cinq ans né à Paris et fils unique de ses parents portugais, tous deux
gardiens d'immeuble dans le 14e, rue Adolphe-Foccilon. Il s’agit donc d’une
autre histoire que Marie-Hélène fait subtilement croiser avec celle de Jeanne.
Celle-ci imagine la vie des autres en leur faisant prendre corps, et elle donne
corps à la sienne en imaginant aussi que son chemin aurait pu être autre.
Ce
petit livre nous montre comment peuvent naître des histoires, comment se font
et se défont des vies, comment l'auteur raconte sa propre vie pour redonner vie
à d'autres. Mais pour en revenir au fond, dans ces histoires de solitudes,
celle de la narratrice est, de loin, plus intéressante que celles inventées
pour ses personnages.
En
résumé, Marie-Hélène Lafon aborde un sujet sensible dans le style d’une fiction
lui permettant d'aller plus loin sans risquer le hors-sujet. En fait le lecteur
ne pourra constater aucun manque de cohérence. L’auteure nous parle
magnifiquement de la solitude qui laisse le loisir de rêver, d’imaginer la vie
des autres.
Muhammad Gamal SALEH
Département
de Langue et Littératures Françaises
Faculté des
Langues et de Traduction
Université d'Al-Azhar
Frédéric VERGER
Les Rêveuses
Éd. Gallimard, 2017 (448 p.)
Éd. Gallimard, 2017 (448 p.)
Rêver à haute voix !
Écrivain français et chroniqueur, Frédéric Verger publie en
2017, aux Éditions Gallimard, son deuxième roman, Les Rêveuses.
La vie au sein de la cellule familiale est le thème essentiel
qui parcourt le roman. S’y ajoutent également des thèmes secondaires :
l’usurpation d’identité, la persécution des Juifs par les Allemands et autres.
L’histoire tourne autour d’un personnage principal. Sa
construction est un mélange de Peter et d’Alexandre. Peter Siderman est un
jeune homme allemand de dix-sept ans, engagé dans l’armée française. Pour
rester en vie, il usurpe l’identité d’un mort, Alexandre, dont il ne sait rien.
Pourtant, il s’inspire des écrits d’Alexandre, se les approprie, les rapporte
lors des conversations : « Il aperçut son reflet dans le miroir. Le
personnage, les mains dans les poches, le fixant d’un air amical, insolent,
semblait le mettre au défi de faire quelque chose de lui. »
D’autres personnages secondaires sont avancés telle Sofia
Evseivna, veuve et mère d’Alexandre. Bien qu’aveugle, celle-ci découvre, dès la
première rencontre, qu’il ne s’agit pas de son fils : « Sur les
manches, les papillons frissonnèrent, la vieille se redressa. Assise sur le lit,
sa chevelure grise balançant, elle ouvrit les yeux. Ils fixaient quelqu’un
qu’elle était la seule à voir. Sa voix grinça, roulant les « r ».
"Jeune homme, puisque je montre que je ne suis pas morte, dites-nous donc qui vous êtes." »
"Jeune homme, puisque je montre que je ne suis pas morte, dites-nous donc qui vous êtes." »
De leur côté, les deux cousines, Hélène et Joséphine,
tiennent à garder le secret. Pourquoi ? Cet homme est pourtant un
imposteur, qui s’est emparé de l’identité de leur Alexandre mais personne ne le
dénonce auprès des autorités. Pourquoi ?
Nous n’en dirons pas plus…
Nous n’en dirons pas plus…
Le commandant, le valet et bien d’autres personnages entrent
également en scène.
Pour ce qui est de la signification du titre du roman, Les
Rêveuses, elle est révélée au fil du récit : Peter va tenter de
retrouver Blanche d’Etrigny-Weissman, la cousine d’Alexandre, enfermée dans un
couvent où furent jadis cloitrées des sœurs qui rêvaient et racontaient à haute
voix leurs songes. Blanche appelait son cousin à son secours en lui envoyant de
mystérieux courriers : « Il y avait à Ourthières, pas loin d’ici, au
bord de la Sauvre, un couvent où depuis des années, des siècles même, quand des
nonnes se mettaient à rêver la nuit à voix haute, on notait ce qu’elles
racontaient. »
Voilà que les rebondissements se multiplient, les situations s’enchaînent et s’aggravent, les épreuves se répètent, s’amplifient et s’accélèrent.
Les Rêveuses est un
roman de rêves, digressif mais extrêmement structuré. Le pays de Bray,
« aux confins de la Lorraine », est imaginaire, comme sont imaginées
les sœurs « rêveuses » au fond de leur couvent, non loin de Bray. Et
c’est dans ce pays enchanté que tombe Peter Siderman. Il y découvre sa nouvelle
identité et sa nouvelle famille.
Le roman est rédigé avec une belle richesse d’écriture et un
vocabulaire fourni. Génie de la description et de la maitrise du style,
Frédéric Verger nous tient en éveil de bout en bout.
Cette œuvre apparait également comme une déclinaison du
rêve : la rêverie, l’affabulation, l’onirisme, le délire, la folie, mais
aussi l’ivresse de la musique, de la danse, tout participe à l’intrigue et
s’imbrique à merveille.
Finalement, cette appropriation au détriment d’un mort, pour
sauver sa peau, est-elle effectivement jugée comme un crime ? Ne serait-ce
pas tout simplement juste un devoir de survie ?
Clara ABOU NADER
Département de langue et littérature française
Département de langue et littérature française
Faculté des lettres et sciences humaine – Section 2
Université
Libanaise
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