Monica Sabolo
Summer
Ed. JC
Lattès, 2017 (315 p.)
Summer ou
l’interminable hivernage
La famille
est généralement le socle sur lequel la vie de chaque personne repose.
L’absence de l’un de ses membres pour une raison compréhensible fait mal. Alors
qu’en est-il si la raison demeure insondable et inadmissible ?
Summer
Wassner a fait le choix d’aller se forger une vie dans un monde inconnu de sa
famille et de ses amis. Elle a pris la décision de jeter les pages dont le
contenu ne lui plaisait pas et d’écrire son histoire de sa propre plume. C’est
qu’il lui devenait impossible de garder un lien entre son passé et son avenir,
et c’était ainsi sa façon à elle de déconstruire pour mieux se
construire. Pour ce faire, elle ne s’est pas posé les questions pourtant
susceptibles de lui tarauder l’esprit : est-ce que j’ai le droit de tout
déconstruire ? Le passé que j’ai
choisi d’oublier pourrait-il, lui, m’oublier ? Son départ a bouleversé le
monde et a été un virage dans la vie de ses proches. Il a donné libre cours à
l’imagination de son frère Benjamin pour lever le mystère sur cet ailleurs où
sa sœur s’est réfugiée et où lui s’est enfoui. Dans l’eau, dans l’air, dans son
propre corps, il a cherché partout… Mais la jeune fille est difficile à cerner
à cause de sa nature qui dépasse celle de l’humain, en raison également d’un
courage sans pareil, enfin de son égoïsme singulier et de sa naissance imprévue
et inespérée, qui a sapé les rêves de sa mère.
Le lecteur
apprend tout sur la vie de Summer et de sa famille, par la bouche de son frère
qui souffre d’une inadaptation dans un monde que sa sœur a fui en usant des
ailes offertes par son amant. Tandis que le frère, lui, semble incapable de
réussir une relation avec tout autre que sa sœur. Celle-ci a librement choisi
son destin, alors que lui n’a fait que le subir. C’est à croire que c’est lui
qui a vécu dans cet ailleurs barbare et inconnu et que son problème n’est
pas la perte de Summer mais sa propre perte.
Monica Sabolo
nous fait voir la relation adelphique sous un autre angle. Entre le frère et la
sœur, il pourrait exister autre chose que le désir incestueux, la tendresse ou
la jalousie. Nous entendons dire que pour grandir, il faut couper le cordon qui
nous lie à notre mère, mais celui qui nous lie à notre frère ou sœur, qu’en
ferons-nous donc ?
Rime Khalaf
Université Saint-Esprit de Kaslik
Olivier
GUEZ
La disparition de Josef Mengele
Ed. Grasset, 2017 (240 p.)
L’odyssée dantesque
de Josef Mengele…
Le 22 juin 1949,
Helmut Gregor, 1,74 mètre, yeux brun vert, citoyen allemand de nationalité
italienne, catholique, mécanicien, s’apprête à poser le pied sur le sol
argentin. Cet homme n’est pas un simple ex-capitaine de la SS qui cherche à
oublier la guerre dans l’Argentine de Perón, terre des fuyards, des nazis et
des fascistes. Helmut Gregor n’est autre que Josef Mengele, criminel de guerre,
médecin-chef à Auschwitz.
Entre mai 1943 et
janvier 1945, Docteur Mengele ne soigne aucun patient. Pendant ces vingt mois,
le plus grand camp de concentration et d’extermination du Troisième Reich
devient le laboratoire au sein duquel il mène des expérimentations inhumaines
sur des « microbes et larves à éradiquer » (p. 207), sur des
« moustiques » (p. 207) qui risquent de transmettre des maladies s’ils
piquent, sur ses cobayes préférés : les détenus juifs. Dissections, autopsies,
amputations inutiles, ponctions lombaires, échanges de sang entre jumeaux et
examens in vivo font du « prince
des ténèbres européennes » (p. 119) un gardien de la pureté de la race
aryenne, voire un alchimiste de l’homme nouveau.
À la fin des années
1940, Buenos Aires est devenue le refuge des grands criminels de la planète, la
capitale des artisans des fascismes européens et l’hôte des cocktails de la
« nazi society » lors desquels les nostalgiques de l’Allemagne
hitlérienne se pressent. Au total, l’odyssée de Josef Mengele en Amérique
latine va s’étendre sur trente ans. Lors des dix premières années de sa cavale
racontées dans la première partie du roman, « l’ange de la mort » (p.
20) vit tel un pacha. Il entend mener une nouvelle existence en bénéficiant des
mannes financières de sa famille, de ses multiples complicités dans le vaste
réseau nazi et de la bienveillance du régime péroniste à l’égard des criminels
de guerre. Pendant cette époque, la priorité est à la reconstruction de
l’Europe. Les rafles, les camps de travail, les chambres à gaz et les
collaborateurs ne font pas la une des journaux. Gregor vit bien et banalise le
mal dont il fut responsable avant de réaliser, au moment du procès d’Adolf
Eichmann – criminel de guerre nazi refugié également en Argentine sous le
pseudonyme de Ricardo Klement – qu’il est bien le prochain sur la liste noire.
Livré à la
malédiction de Caïn, le premier meurtrier de l’humanité, Josef Mengele mène une
existence de « rat » (titre de la deuxième partie du roman) pendant
vingt longues années. Celui qui s’était pris pour un « demi-dieu »
(p. 119), infligeant tant de souffrances à ses frères humains, sombre dans la
paranoïa puis la folie vu qu’ « il ne comprend plus rien à un monde
qui lui échappe et auquel il n’appartient plus, à un monde qui l’a excrété,
lui, le « "postillon du diable" ». En 1985, lorsqu’Israël et ses
alliés se décident à reprendre la traque de l’homme sans scrupules qui est
désormais sujet de livres et de films, ils se lancent en réalité sur la piste
d’un fantôme : l’insaisissable fugitif est mort noyé sur une plage
brésilienne six ans plus tôt et enterré sous le nom de « Wolfgang
Gerhard » (p. 217).
L’auteur le sait. Son
protagoniste n’a rien de charismatique. Avec son allure d’hidalgo brun, aux
cheveux gominés et à l’épaisse moustache, il ne correspond en rien au mythe de
l’aryen dit « idéal ». Malgré ces traits trompeurs, Olivier Guez
excelle à divertir vu que sa maîtrise du suspense sur la totalité du roman
s’avère brillante. Évidemment, il n’est pas du tout facile d’écrire un roman
dont tout le monde connaît déjà la chute. On reconnaîtra donc à l’auteur
l’exactitude et la profusion des sources (cinq pages sont consacrées à ces
sources à la fin de l’œuvre) et le mérite d’avoir tissé cette intrigue qui
demeurait pour beaucoup une simple vérité générale : « Mengele a tenté de
se cacher en Amérique du Sud ».
Au fil des pages, la
lecture vacille en permanence, le doute s’installe : le lecteur ne sait
plus s’il lit un livre d’Histoire ou un roman malgré la mention du genre sur la
couverture.
Affaire à suivre,
mais sentiment mitigé…
Christina AZAR
Département de Langue
et Littérature françaises
Faculté des Lettres
Université
Saint-Esprit de Kaslik
Véronique OLMI
Bakhita
Éd.
Albin Michel, 2017 (456 p.)
De l'esclavage à la liberté et de la liberté à la sainteté
L’histoire de Bakhita commence en 1869, dans un
village du Darfour, au Soudan. À la suite de son enlèvement par des ravisseurs
à sept ans, l’enfant demeure marquée psychologiquement et physiquement par les
horreurs de l'esclavage. Elle a été achetée, vendue puis à nouveau rachetée,
jusqu’à ce qu’elle se retrouve avec un consul d’Italie. Là-bas, elle découvre
le catholicisme et elle se bat pour sa liberté. Elle traverse les deux Guerres
mondiales et le fascisme tout en prenant soin des enfants pauvres jusqu’à sa
mort en 1947.
L’histoire est dramatique mais facile à suivre, et
l’écrivain décrit une image violente et grotesque de l’esclavage, qui peut
heurter les esprits sensibles. Le récit est bien structuré et saisissant mais
il est souvent ralenti par la grande quantité de détails qui ne sont pas
toujours nécessaires, en particulier par une profusion de flashbacks beaucoup
trop récurrents.
Les premiers événements du roman me rappellent
beaucoup le livre Douze ans d'esclavage de Solomon Northup. Les
sentiments de haine et de colère des personnages ont eu un véritable impact sur
mon esprit. C’est une catharsis profonde et bizarre.
Au final, l’histoire de Bakhita vaut d’être lue et
découverte, malgré l’abondance de détails et les lenteurs qui alourdissent la
fin du livre. C’est une histoire nue qui montre la transformation d'une âme par
la souffrance.
Musab MASRI
Département de français
Faculté des Lettres
Université de Khartoum
Monica SABOLO
Summer
Éd. JC Lattès, 2017 (315 p.)
À la Recherche
de Summer
Primée au Prix de Flore en 2013 pour son roman
autobiographique Tout cela n’a rien à voir avec moi, mais aussi au
Grand prix 2015 pour Crans Montana, Monica Sabolo est de retour avec sa
dernière création, Summer, œuvre toute aussi envoûtante, et déjà
sélectionnée pour le prix littéraire Le Monde.
La
romancière semble parvenir en peu de temps à se tailler une place dans le cœur
de ses lecteurs, surtout pour ses romans ensorcelants qui regorgent d’émotions
et laissent votre âme imprégnée de sensations.
Dans Summer, les émotions résultent de la
disparition de cette héroïne éponyme, qui semble s’être volatilisée, et de
l’impact de cet événement sur la vie de son frère Benjamin. Presque 25 ans plus
tard, on ignore toujours si cette jeune de 19 ans est morte ou si elle est
encore en vie. Bien que la disparition date, Benjamin se trouve paralysé dans
sa vie et hanté par la mémoire de sa sœur. Il part à la recherche de la vérité,
en quête d’un dénouement à cette histoire pour qu'il puisse lâcher prise et
reprendre sa vie.
N’est-ce pas en fait l’histoire de tout le
monde ? Nous avons tous perdu quelqu’un que nous aimions fort. Si bien que
le lecteur se retrouve dans les paroles de Benjamin, dans les sentiments qu’il
éprouve après la perte de sa sœur, et dans ses tentatives pour s’en remettre.
C’est donc aussi l’histoire de chacun de nous, tout comme c’est également une
histoire d’amour, qui ne peut se dissocier du chagrin.
Summer
apparait, dans les rêves de son frère, prisonnière sous l’eau du Lac Léman à
Genève où a grandi Sabolo. Le lac présente pour lui les secrets, les non-dits
et le mystère qu’il a à résoudre pour retrouver sa sœur ou découvrir ce qui lui
est arrivé. Ce faisant, Benjamin voit se fissurer l’image parfaite de sa petite
famille idéale, et on plonge dans sa psyché de plus en plus perturbée.
Avec un style propre à elle, Monica Sabolo met en
balance la détresse et l’espoir. Sous l’effet de sa plume, je me retrouve émue,
affligée et joyeuse à la fois. L’orientation morbide et le flash-back qui
débordent le récit m’ont fait hésiter au début mais je me suis vite rendue
compte qu’il s’agissait plutôt d’un appel à vivre et à avancer. On est toujours
à la recherche de ce qui peut combler ce manque, manque d’un être aimé, manque
d’amour ou manque de foi.
Benjamin dit : « Je suis la preuve
vivante que l'on peut vivre sans les êtres que nous aimons le plus, ceux-là
même qui rassemblaient les milliers de fragments minuscules qui nous
constituent. Ces êtres que l'on est terrifiés de perdre, parce qu'ils nous
donnent la sensation d'être réels, ou du moins un peu moins étrangers au monde,
et puis, quand nous les avons perdus, nous n'y pensons plus. » M. Sabolo choisit des paroles auxquelles
chacun peut s’identifier. Chacun se trouve aux prises avec sa propre douleur et
ses regrets, avec tout ce qu’il perd en se laissant noyer dans sa tristesse. Je
me sens en fait devant un miroir de mon propre malheur, et en tant que
lecteurs, nous trouvons forcément du plaisir à lire des mots qui expriment ce
que nous ressentons.
Il faut toutefois reconnaître que l’alternance
entre les deux périodes (pré et post disparition) est en quelque sorte
déroutante. Et il aurait été préférable d’accélérer le rythme de l’action afin
d’éviter la lassitude du lecteur à certains moments. C’est ainsi qu’il m’est
arrivé de vouloir sauter hâtivement quelques pages, mais les derniers chapitres
valent vraiment qu’on les lise, et qu’on se laisse aller à compatir à la
douleur de toute la famille. Les révélations sont spectaculaires.
À mon avis, Summer est un roman à lire et à
savourer, le style fluide et poétique de M. Sabolo est addictif, si bien que
vous aurez bien du mal à lâcher le roman!
Hana RAGAB
Département de Français
Faculté
des Langues (Al-Alsun)
Université Ain Shams
Olivier GUEZ
La Disparition de Josef Mengele
Éd. Grasset, 2017 (240 p.)
La descente
aux enfers
Bien que nous soyons en 2017, le nazisme, le fascisme et autres régimes
totalitaristes ne cessent d’alimenter l’imaginaire de maints romanciers. C’est
dans ce cadre que s’inscrit La disparition de Josef Mengele, qui est
plus qu'un roman : c'est tout un monde, un univers empli de détails et de
faits réels. Le roman est signé par Olivier Guez, auteur de L'Impossible
retour, une histoire des Juifs en Allemagne depuis 1945 et Les
Révolutions de Jacques Koskas. Guez a reçu en 2016 le prix allemand du
meilleur scénario pour le film Fritz Bauer, un héros allemand.
Dans les 240 pages de La disparition de Josef Mengele, l'auteur
relate une biographie romancée de celui qui a été connu sous le nom de ''L'ange
de la mort'', un ancien médecin SS à Auschwitz, qui a pratiqué des expériences
inhumaines et torturantes sur femmes, hommes et enfants. Un homme au titre de
bourreau – c’est le moins que l’on puisse dire.
Une fois la 2ème Guerre mondiale
terminée, Mengele a réussi à s'enfuir pour se cacher en Amérique du sud sous
couvert de divers pseudonymes, profitant des gens et même des régimes qui lui
ont prêté main forte. Il s’est dirigé premièrement vers Buenos Aires, devenue
dans les années 1940 le refuge privilégié de plusieurs Allemands, protégés par
le président de l'Argentine, Perón. Mais la situation ne durera pas. Après
quelques années de répit, la traque a repris et Mengele change de nom et
d’apparence afin de garantir sa sécurité. Le lecteur est invité à suivre
Mengele dans ses interminables cavales qui le mèneront au Paraguay et au
Brésil, pays où il a trouvé la mort en 1979, une mort qui fut taxée de
mystérieuse.
Tout au long du roman, le lecteur demeure sur le qui-vive, mais incapable
de sympathiser avec ce tortionnaire criminel qui a sombré vers la fin de sa vie
dans la paranoïa. Guez nous livre le portrait, non plus d’un homme
scientifique, mais d’un fuyard paranoïaque, entouré d’une meute de chiens.
L'écriture d'Olivier Guez est très
proche du réel et fourmille de détails. La maîtrise de l'auteur est impressionnante
: sens du mot juste et précision rigoureuse. Celui-ci a eu recours à plusieurs
flashbacks qui s'enchaînent dans une très grande fluidité. Présent et passé
s’entrelacent pour esquisser une autre facette de la vie de cet homme abject.
L'auteur s’est en effet largement documenté pour composer ce puissant roman, à
cheval entre l’Histoire et la littérature. Mais pourquoi évoquer une page si
dérangeante de l’Histoire de l’Europe moderne ? N’est-il pas temps d’en finir avec cette Histoire? de
l’oublier, de la dépasser ? Cette citation tirée de la page 231 du roman
pourrait constituer le message que l’écrivain tente de nous transmettre : ''Méfiance,
l'homme est une créature malléable, il faut se méfier des hommes''.
Nelly
MOUSTAPHA
Département de français
Faculté des langues (Al-Alsun)
Université Ain
Shams
Alice ZENITER
L’art de perdre
Éd. Flammarion, 2017 (506 p.)
Un déracinement inachevé
Quand on ne peut pas se
débarrasser de notre vraie identité, ni se raccrocher à une que l’on ne peut
pas obtenir, on se perd lentement.
Alice Zeniter traite dans ce roman divisé en 3
parties des effets de la colonisation française sur l’Algérie en donnant
l’exemple d’un personnage, Ali, le grand-père de Naïma, qui se déchire tout au
long de sa vie à cause de l’exploitation des colonisateurs.
A. Zeniter consacre la première
partie du roman à l’histoire d’Ali, depuis sa gloire jusqu'à sa chute. Un homme
classé comme « harki »
et qui doit donc quitter son pays pour aller se réfugier dans cette France pour laquelle il a combattu. Et dans laquelle il vit la pire sorte d’humiliation
et d’oppression qui soit.
Également, l’auteur nous décrit la
situation des Maghrébins qui vivent en France. La perte de leurs origines,
l’incapacité de s’adapter à ce pays où l’on passe toute sa vie, le racisme et le déchirement que
subissent les fils d’immigrés. Hamid, le fils aîné d’Ali, est l’exemple de
leur souffrance.
Le roman est plutôt
générationnel puisqu’il passe du grand-père à la petite fille.
Pourtant, Naïma est
toujours en quête de son pays. S’agissant d’elle, c'est plutôt une recherche de
soi, nécessaire pour retrouver ses origines. Pour elle, l'Algérie est une
inconnue et la langue arabe frappe par son caractère étrange. Quand elle essaie
de l'apprendre, elle « ânonne avec peine la langue que ne lui a pas donné son
père » (p.222).
Elle a voulu retourner en
arrière pour collecter des images, tenter de se voir et de se définir.
Contrairement à son grand-père et à son père, Naïma tente de reconstituer des
liens avec son pays d’origine.
A. Zeniter élabore en
vérité dans ce roman une critique de la société maghrébine et de la
colonisation française en donnant les détails de la vie d'une famille qui a
beaucoup souffert. Elle utilise des mots efficaces qui arrivent à décrire la
tristesse et la nostalgie de ses personnages.
Alaa NADIR
Département de français
Faculté des Lettres
Université de Khartoum
Yannick
HAENEL
Tiens ferme
ta couronne
Éd.
Gallimard, 2017 (331 p.)
Se lancer dans une ivresse aléatoire
Jean, un homme introverti et cynique d’une
quarantaine d’année, vient décrire un scénario sur la vie d’Herman Melville en
rêvant qu'un jour ce scénario devienne un film. Alors qu’il passe son temps à
boire et qu’il est habité par le film Apocalypse Now de Francis Coppola,
il rencontre le grand cinéaste américain Michael Cimino.
L’histoire commence d’une manière assez
intéressante mais dès que la rencontre avec Cimino se termine, le récit plonge
dans un abîme de détails inutiles qui ralentissent la lecture, accordant une
place excessivement importante à des histoires secondaires qui n'ont pas
vraiment d'effet ni d'impact sur l’histoire principale.
On notera également la présence de
références cinématographiques et d’analyses de plusieurs films dont le sens peut nous
échapper si l’on n'a pas regardé ces films.
Cependant, le roman offre au lecteur de nombreux
passages bien écrits et qui sont agréables à lire, même si l'intrigue perd
souvent son fil, surtout à mi-chemin du roman.
Malheureusement, la fin est décevante parce
qu’elle est trop prévisible.
En somme, ce livre s’adresse à un public
spécifique, fan de ce genre de films et d’artistes.
Musab MASRI
Département de français
Faculté des Lettres
Université de Khartoum
Eric VUILLARD
L’ordre du jour
Éd. Actes Sud, 2017 (160 p.)
Au-delà de l’Anschluss
Après Tristesse de la terre et 14 Juillet, Eric Vuillard s’essaie en conteur d’évènements
historiques, loin des faits ressassés par les livres d’histoire. Paru le 3 Mai
2017, L’ordre du jour nous fait pénétrer, par une plongée fascinante,
dans les années 1930.
Dès l’incipit, l'auteur commence par
pointer le nerf de la guerre: L'argent. Tout commence le 20 février 1933,
lorsque vingt-quatre industriels allemands approuvent sans balancer leur
contribution au financement du nouveau chancelier Hitler.
Ce dernier, poursuivant son plan, a
tenu une série de rencontres décisives avec les dirigeants de l'époque, entre
autres le chancelier autrichien Schuschnigg qui, par faiblesse, cède à la
demande d’Hitler de nommer un nazi comme ministre de l’Intérieur en Autriche.
Une occasion pour Vuillard de nous immerger dans l'atmosphère d'intimidation
moite mise en place pour faire plier l’Europe.
“ Le
Führer attirait les autres à lui par une force magnétique, puis les repoussait
avec une telle violence, qu’un abîme s’ouvrait alors, que rien ne pouvait
combler “ (L’ordre du jour)
Hitler, face à la communauté
internationale somnolente, a vu dans les félicitations des Autrichiens une
opportunité pour annexer le pays et réaliser ses rêves les plus sinistres.
Voici un récit captivant qui met en
exergue les coulisses d'un drame historique. Il souligne le manque d'esprit de
responsabilité, la cupidité d’une élite aveuglée par l’intérêt, et dénonce des
personnalités médiocres qui finissent par se soumettre devant la pression
hitlérienne pour infiltrer les nazis au sein de l'Autriche.
Eric Vuillard, avec une écriture fine
et précise, donne à l'Histoire une lumière différente en incarnant de manière
anecdotique les faits révolus. Une façon de raconter l’Anschluss autrement,
c’est-à-dire avec un regard à la fois ironique et réaliste. Sans doute ce
retour à l’Histoire et au passé est-il un moyen efficace de mise en grade qui
devrait éviter que l’on répète les fautes d’autrefois.
Ce
récit a
effectivement nécessité une vaste documentation historique mais aussi
une nouvelle technique pour raconter l’Histoire. Toute
l’originalité du livre vient en effet de sa manière de raconter
l’Histoire. Là où n’importe quel auteur aurait énuméré les faits dans
un enchaînement logique et chronologique, Vuillard choisit d’enchaîner
les
anecdotes. Dans cette œuvre sans précédent, l'Histoire est originalement
ressuscitée.
Esraa Amr ABDEL AZIZ
Département de Langue française
Faculté des Langues Al Alsun
Université Ain Shams
François-Henri DESERABLE
Un certain M. Piekielny
Ed. Gallimard, 2017 (258 p.)
Un incertain monsieur
Piekielny
« Quand tu
rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur
dire: au no. 16 la rue Grande Pohulanka à Wilno, habitait M.
Piekielny... »
Né en 1987,
François-Henri Désérable, l’auteur de Tu montreras ma tête au peuple et Évariste,
paru aux Éditions Gallimard, commence son enquête lieutenant.
Porté par le hasard devant le n°16 de
la rue Grande-Pohulanka, et se souvenant de la citation ci-dessus, F.-H.
Désérable s’est lancé à la recherche de ce monsieur dit Piekielny, au sujet
duquel il n’a que les informations citées en trois pages dans l’autobiographie
du romancier Romain Gary. Dans un cadre d’hypothèses et de simples
spéculations, il amène le lecteur à bien visualiser ce monsieur Piekielny, le
situant dans son contexte temporel,
physique et psychologique, créant toute une histoire originale propre à lui.
Mais comment trouver « la souris grise triste », alias Piekielny
– comme le désigne son auteur – sans analyser la vie de Gary lui-même? Avec un
style fluide, humoristique mais très travaillé, Désérable lance le lecteur sur
les pas de l’auteur de La promesse de l’aube en lui faisant
revivre ses grands moments de vie, et tout en dévoilant ses mensonges.
L’ouvrage
auquel on se rapporte est toujours un ouvrage qui nous tient à cœur : c’est
exactement le cas de François-Henri Désérable, qui a effectué un parallèle
entre sa vie et celle de Romain Gary, faisant l’éloge des mères, éloge qui
constitue le point d’orgue de leur ressemblance. Cependant l’auteur ajoute ses
propres anecdotes qui ne sont pas moins passionnantes.
L’écrivain procède à une comparaison entre l’Histoire et le contemporain,
entre ce qui est et ce qui a été. À travers ses lunettes « sépia »,
passant par les effets post-guerre et les villes polonaises totalement
détruites, en comparaison avec d’autres qui n’ont pas vraiment changé.
François-Henri Désérable parvient ainsi à inciter son lecteur, à travers son
œuvre gigogne, à activer sans cesse sa propre réflexion, à s’interroger sur la
notion de vérité, sur l'existence de Dieu (à travers la guerre), sur la
distinction entre fiction et réel, et enfin sur la puissance de la littérature
« qui tient le monde en 26 lettres et le fait ployer sous sa loi ».
Marie Amir EZZAT
Département de Français
Département de Français
Faculté des Langues Al
Alsun
Université Ain Shams
Université Ain Shams
Alice Zeniter
L’art
de perdre
Éd. Flammarion, 2017 (507 p.)
Éd. Flammarion, 2017 (507 p.)
À la découverte d’une
nation inconnue
À
l’âge de 31 ans, Alice Zeniter a reçu de nombreux prix littéraires, grâce à ses
cinq romans. Le prix des Libraires – Le Point et le Prix littéraire du Monde
révèlent, entre autres, la séduction des lecteurs français par cette jeune
auteure. Le père d’A. Zeniter est né en Algérie, alors qu’elle-même est née en
France en 1986, exactement comme l’héroïne du présent roman. Ceci explique son
intérêt pour l’Histoire de ce grand pays maghrébin.
Le roman intitulé L’Art de
perdre s’étend sur 507 pages. Il narre l’histoire d’une famille algérienne
qui s’est vue obligée de quitter son territoire, dans années 1960. L’œuvre est
divisée en trois parties. C’est dans la première que nous faisons la
connaissance d’Ali, un kabyle montagnard dont « la richesse est
tombée dessus presque par hasard ». Il vit paisiblement malgré la
colonisation française. Pourtant, ce bonheur ne dure pas longtemps ; le
FLN se révolte violemment vers les années 1950 et remporte, en 1962,
l’indépendance de l’Algérie. Ali, un harki (c’est ainsi que l’on désigne
ceux qui ont collaboré avec les
Français au détriment du FLN), doit quitter le pays de ses ancêtres, de peur
d’y être tué comme l’a été son frère. La famille exilée en France ne connait
plus désormais la même vie aisée et stable qu’autrefois. La romancière dépeint
alors dans la deuxième partie les changements que subit surtout Hamid, le fils
aîné. Celui-ci épouse Clarisse, une Française avec qui il aura quatre
enfants. Enfin, dans la troisième partie, nous découvrons la lutte intérieure
de Naïma, fille de ce couple,
quand elle se rend compte qu’elle ignore ses origines, et lorsque, en
conséquence, elle décide de visiter l’Algérie.
Le titre du roman est inspiré d’un poème du même nom, composé par la
poétesse américaine Elizabeth Bishop. Pour Naïma, il s’agit de la perte d’un
pays, de ses coutumes, de ses souvenirs.
J’ai perdu deux villes, de jolies villes. Et,
plus vastes,
des royaumes que j’avais, deux rivières, tout un pays.
Ils me manquent, mais il n’y eut pas là de désastre.[1]
L’Art de perdre n’est pas un roman historique,
sinon une psychanalyse d’une phase décisive de l’Histoire de l’Algérie, qui a
sans doute marqué ses compatriotes. L’auteure a présenté la Guerre
d’indépendance sous l’angle des anti-FLN. Elle met en évidence les émotions instables
de chaque membre de la famille d’Ali subissant la guerre. C’est un mélange de
peurs, de larmes et d’espérances qui ne tardent pas de s’effondrer… Mais elle
aborde aussi le racisme de plusieurs Français qui maltraitent ceux qu’on
appelle les musulmans de France, et l’extrémisme religieux à l’origine
d’attentats tels que celui de Charlie Hebdo et les explosions de Bruxelles.
Nous relèverons également une opposition entre le comportement de Hamid et
celui de de sa fille. Arrivé en France, le père fait de son mieux pour oublier
l’Algérie, il récuse la position d’Ali qui n’a pas lutté pour l’indépendance,
et le trouve con. Quant à Naïma, elle s’efforce de restituer les
souvenirs de son pays d’origine. Notons que l’amour sans conditions éprouvé par
Clarisse pour Hamid l’aide à surmonter sa crise de post-migration.
Dans ce récit raconté à la troisième personne, la
narration joue un rôle majeur. Ceci n’empêche pourtant que la description et le
dialogue y font fréquemment irruption, afin d’exposer les péripéties dans un
cadre tellement réel que le lecteur a l’impression de regarder un film.
Romancière
contemporaine douée, Alice Zeniter nous offre une œuvre prenante, traitant d’un
sujet qui a touché à la fois l’Algérie et la France, et dont les impacts
persistent jusqu’à nos jours. Son style témoigne d’une richesse agréable en
figures stylistiques. Enfin, les Arabes francophones pourraient trouver un
grand intérêt à ce roman, puisque la volonté de se libérer de toute occupation
étrangère concerne la majorité des pays arabes.
Thérèse Haggar
Département de Langue Française
Faculté des Langues Al-Alsun
Université Ain-Shams
[1] Extrait du poème d’Elizabeth Bishop, L’Art
de perdre.
Monica SABOLO
Summer
Éd. Jean-Claude Lattès, 2017 (160 p.)
Éd. Jean-Claude Lattès, 2017 (160 p.)
La
mort heureuse de Summer
Monica
Sabolo, née en 1971 à Milan, est une écrivaine et journaliste française,
auteure de cinq romans dont Summer, aux Éditions Jean-Claude Lattès.
Elle a obtenu le Prix Flore en 2013 pour son autobiographie Tout cela n’a
rien à voir avec moi.
M. Sabolo a
grandi à Genève en Suisse, plus précisément dans une maison pieds dans l’eau,
s’interrogeant sur les mystères que pouvait cacher ce lac mort. Et c’est en
Suisse aussi, à Crans Montana, qu’elle découvre un album photo qui a bouleversé
toute son existence et l'a emprisonnée dans son adolescence.
Les secrets
familiaux qui sont son obsession constituent, comme elle le dit, « des
voyageurs clandestins sombres, qui peuvent voyager d’une génération à une autre
sans qu’on ne le sache. »
Le roman de
M. Sabolo relate le souvenir d’une adolescente nommée Summer, irradiant de
beauté et d’intelligence et qui, malgré une enfance paisible et joyeuse,
choisit de se rebeller contre ses parents en sortant avec des hommes beaucoup
plus âgés qu’elle, buvant, se droguant, bref, le pire cauchemar de n’importe
quels parents. Effrayés de constater ce qu’elle est devenue, ils n’ont pas
manqué de la corriger – histoire sans doute inspirée des clichés
américains –, jusqu’au jour où la jeune fille disparaît.
Le roman de
M. Sabolo est comme un bateau qui permet à ses lecteurs de naviguer dans la mer
de souvenirs d’un homme de 38 ans, qui s’en va en quête de sa sœur disparue il
y a 24 ans.
Car Benjamin n’a jamais compris les causes de la disparition de sa sœur près du lac Léman. « Qui s’évapore dans ce monde ? » ne cesse-t-il de se demander. Narrateur ironique de ce roman, Benjamin semble avoir perdu une majeure partie de sa vie près de ce lac : « je n’ai aucune idée du lieu où elle se trouve (Summer), pas plus que je ne sais où est passé l’adolescent maigre et nerveux de quatorze ans que j’étais alors. Ils sont peut-être ensemble, dans un monde parallèle auquel on accèderait à travers un miroir ou la surface d’une piscine. »
Car Benjamin n’a jamais compris les causes de la disparition de sa sœur près du lac Léman. « Qui s’évapore dans ce monde ? » ne cesse-t-il de se demander. Narrateur ironique de ce roman, Benjamin semble avoir perdu une majeure partie de sa vie près de ce lac : « je n’ai aucune idée du lieu où elle se trouve (Summer), pas plus que je ne sais où est passé l’adolescent maigre et nerveux de quatorze ans que j’étais alors. Ils sont peut-être ensemble, dans un monde parallèle auquel on accèderait à travers un miroir ou la surface d’une piscine. »
Entre un
père qui ne semble jamais satisfait de son fils et qui cache un passé sombre,
une mère absente qui fuit vers une autre vie, Ben, victime d’une dépression
sévère, se soumet au silence que lui imposent ses parents. Jusqu’au jour où une
simple odeur de peinture ravive ses souvenirs et le pousse à rechercher la
compagnie de ses lecteurs, devenus ses seuls alliés, susceptibles de
l’accompagner dans la cave de son moi, de son inconscient, là où sont censées
résider toutes les réponses.
L’auteur
entraine ainsi ses lecteurs dans un va-et-vient incessant entre le passé de
Ben, rempli de secrets, et son présent dans la clinique de son énième
psychologue, le docteur Traube.
Prenant
possession de son existence voire même de ses rêves, Summer devient le centre
des préoccupations de Ben mais également de tout lecteur qui est à la recherche
du moindre indice lui permettant d'avoir des réponses à ses nombreuses
questions.
Avec son
écriture simple, Monica
Sabolo plonge dans la description profonde de ce lac sombre qui a avalé une vie
« dans mes rêves, la surface luit comme un miroir coupant, ou une dalle de
verre. L’eau semble glacée et chaude à la fois. J’ai envie de plonger, d’aller
voir ; mais les poissons sont noirs, les plantes se déploient comme des
tentacules. Des filaments souples, luisants, qui se balancent dans le
courant. »
Mais Summer
est-elle vraiment morte ? Est-elle vraiment noyée dans le lac ? Quelles sont
les causes de sa disparition: accident mortel, enlèvement, fugue ou folie? Pour
Ben, Summer est retenue captive dans le lac, et à la fin du roman on se rend
compte qu’elle est partout autour de nous, nous suppliant nous aussi de la
retrouver.
Cette fin bouleversante, inattendue, provoque chez le lecteur un sentiment de compassion mélangé à la colère et à la répugnance. Les larmes de honte du lecteur couleront pour avoir jugé cette adolescente, et feront germer de ce livre les fruits d’une compréhension plus généreuse et d’un désir de venir en aide à toutes les « Summer » de notre monde.
Cette fin bouleversante, inattendue, provoque chez le lecteur un sentiment de compassion mélangé à la colère et à la répugnance. Les larmes de honte du lecteur couleront pour avoir jugé cette adolescente, et feront germer de ce livre les fruits d’une compréhension plus généreuse et d’un désir de venir en aide à toutes les « Summer » de notre monde.
Summer
est en définitive un livre
fascinant, qui nous permet de vivre dans la peau d’une personne souffrant de la
perte d’un être cher. Nous compatissons à son sentiment de culpabilité, à son
besoin d'avoir des réponses à ses questions, à son désir de revoir la personne
disparue, et indirectement à sa quête de soi et à sa recherche de l'autre.
Pouvons-nous vivre sans ces êtres chers ? Benjamin Wasner est la preuve même
que nous ne pouvons pas le faire.
Rita
EL HACHEM
Département
de langue et littérature françaises
Faculté
des Lettres et des Sciences Humaines - section2
Université Libanaise
Université Libanaise
Monica SABOLO
Summer
Éd. JC Lattès, 2017 (316 p.)
L'été qui anéantit
Summer, une jeune fille qui disparaît un été pendant
vingt-quatre ans et dix jours, n'est jamais revenue.
L'histoire
conte la quête que mène Benjamin, le frère cadet de Summer, afin de retrouver
sa sœur, marchant sur les traces qu'elle a pu laisser derrière elle.
Monica
Sabolo nous représente une vie d'insouciance vécue par des adolescents, et
pénètre les non-dits qui concernent une famille bourgeoise idéalisée. Elle
pointe les conséquences engendrées par les mauvais traitements que subit Summer
de la part de ses parents. Du coup, elle s'enfuit et ne veut plus de sa
famille ; Benjamin quant à lui demeure mais en se sentant toujours
ailleurs, pétrifié par les souvenirs.
L'écrivain
met en relief la relation familiale qui est traitée tout au long du roman.
Benjamin est tellement perturbé par l'idée de la disparition de sa sœur qu'il
ne peut plus continuer à avoir une vie normale. La famille est frappée par le
chagrin et la détresse après la perte de la jeune fille.
Monica
Sabolo arrive à décrire ces images par le recours à des phrases simples et
mélodiques qui donnent à la lecture tout son effet, et les rend plus profondes
et plus facilement représentables.
Alaa NADIR
Département de
français
Faculté des
Lettres
Université de
Khartoum
Olivier
GUEZ
La disparition de Josef Mengele
Éd. Grasset, 2017 (231 p.)
Une ambition
ténébreuse
L'obsession du succès peut mener à des crises dont on
n'arrive pas à se sortir.
La disparition de Josef Mengele traite l'histoire de Josef Mengele, médecin de
profession qui exerce tous les moyens imaginables pour parvenir à ses fins.
C’est ainsi qu’il devient un monstre torturant des personnes qui ne sont même
pas ses patients.
Il pratique ses expériences sur les vivants, en tuant
les enfants et coupant les membres des hommes.
Ce roman retrace la fuite de cet homme qui change
plusieurs fois de nom et se réfugie en Argentine. Mais sa chute a lieu pendant
son séjour en Amérique du Sud et il est seul responsable de sa Descente aux
enfers. Il tremble à l'idée qu’on le découvre et mène une vie de terreur pour
lui-même et pour ses proches, sa femme et son enfant.
Olivier Guez nous donne les détails de cette fuite et
analyse les sentiments d'exil et de perte qu'éprouve Mengele. Il dépeint la vie
d'un homme nazi en une histoire exemplaire et en la chargeant en suspense, ce
qui nous pousse à continuer la lecture.
Alaa NADIR
Département de
français
Faculté des Lettres
Université de
Khartoum
François-Henri DÉSÉRABLE
Un certain M. Piekielny
Éditions Gallimard, 2017
(259 p.)
Une biographie… en
forme d’enquête !
Ce roman est une enquête menée par son auteur, M. François-Henri Désérable, sur un personnage cité par Romain Gary dans son autobiographie, La promesse de l'aube. Un jour où notre auteur s'est retrouvé par hasard à Vilnius (Wilno, jadis), en Lituanie, devant le n°18 (qui était le n°16) de la rue Jono Basanavičiaus (Rue Grande-Pohulanka, à cette époque), il se rappelle avoir lu dans l'autobiographie de Roman Kacew, qui va devenir un peu plus tard Romain Gary, les lignes suivantes : « au n°16 de la rue Grande- Pohulanka, habitait M. Piekielny ». Il s'agit là de la réalisation d'une promesse, faite il y longtemps par un petit enfant à un certain M. Piekielny. Ce petit enfant était Romain Gary, apparemment motivé par une mère qui voyait en son fils un génie, persuadée qu'il serait un grand homme dans l'avenir. Une prophétie qui se réalisera plus tard, incarnée par cette promesse à laquelle M. Piekielny voulait absolument croire pour sortir, justement, de son anonymat sans rien avoir fait.
Dans ce roman, les genres se mêlent
: biographie, autobiographie et fiction associée à la réalité. On a
parfois le sentiment que l'auteur n'est pas très préoccupé du sort de ce M.
Piekielny et qu'il s’applique à raconter des histoires qui semblent n’avoir ni
queue ni tête, comme si l’œuvre était juste un prétexte pour écrire ce
livre sur Romain Gary, écrivain français d'origine lituanienne très
admiré par l'auteur, et qui est justement la raison d'être de cette enquête sur
l'existence de ce M. Piekielny. Mais qui était-il exactement ? Apparemment, il
s’agit d’un voisin de Romain Gary à qui il a demandé un jour, après
avoir entendu les prédictions de la mère à son cher enfant, de lui promettre,
dans le cas où celui-ci devient vraiment célèbre, de dire devant les grands de
ce monde qu’« au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M.
Piekielny ».
L'enquête menée par l'auteur va être difficile et longue dans la mesure où tout a changé depuis le temps où Gary était enfant (le nom de la ville, celui de la rue et même le numéro de l'immeuble !) De plus, il n’y a plus aucune trace de ce M. Piekielny dans les registres civils de cette époque-là, et presque plus personne pour attester de son passage sur terre, puisque la plupart des témoins ont disparu. Donc, pas de confirmation et l'on reste sur une fin ouverte.
L'enquête menée par l'auteur va être difficile et longue dans la mesure où tout a changé depuis le temps où Gary était enfant (le nom de la ville, celui de la rue et même le numéro de l'immeuble !) De plus, il n’y a plus aucune trace de ce M. Piekielny dans les registres civils de cette époque-là, et presque plus personne pour attester de son passage sur terre, puisque la plupart des témoins ont disparu. Donc, pas de confirmation et l'on reste sur une fin ouverte.
Le style est parfait et me rappelle les classiques de la langue française, Proust par exemple dans sa Recherche du temps perdu, et justement il s'agit ici d'une recherche, mais d'un nom perdu.
À noter, la nouveauté que l’auteur a peut-être apportée au genre de la biographie et de l'autobiographie en mêlant tout cela dans une sorte de roman policier.
Abubakr SALMAN
Département de
français
Faculté des Lettres
Université de
Khartoum
Alice ZENITER
L’Art de perdre
Éd. Flammarion, 2017 (506 p.)
Des
souvenirs d'un monde inconnu et lointain...
Cette histoire commence en
Algérie où Ali, le grand-père de Naima, devient un Harki (militaire algérien
enrôlé dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie) et décide de quitter
l'Algérie pour protéger sa famille. Son fils, et aussi le père de Naima, Hamid,
veut se distancier de ses souvenirs et de ses origines algériennes en vivant en
France. Néanmoins, sa fille, Naima (le protagoniste), va quant à elle consacrer
son temps à découvrir ce qui s'est passé pendant la guerre d'Algérie.
Le livre est divisé en
trois parties, une pour chaque personnage principal. Le livre m'a tenu en
haleine dès le début jusqu'à environ la fin de la partie 2. On peut y lire des
passages bien composés qui font ressortir plusieurs sortes d'émotions. De plus,
les personnages sont vraiment intéressants avec des histoires convenablement
détaillées. Ce livre raconte en fait l'Histoire de l'Algérie en abordant des problèmes
qui touchent notre société comme la maturité, la recherche de soi-même, de sa
propre place dans le monde et même le problème de la barrière linguistique.
Malgré tout, le développement graduel de l'histoire dès le début jusqu'à la
partie 3, où l’on rencontre finalement le protagoniste, est bien structuré mais
le résultat est une vraie déception. En effectuant une comparaison entre Naima
et les autres personnages, le lecteur prend conscience que Naima n'est pas un
personnage aussi intéressant qu’il aurait pu l’être. En outre, il y a des
détails superflus disséminés dans la totalité du livre mais c'est dans la
partie 3 spécifiquement où ce problème devient majeur, et n’est que
difficilement tolérable.
Enfin, cette histoire vaut
d’être lue mais par un type spécifique de lecteur : celui qui est
intéressé par l'histoire et la culture de l'Algérie.
Musab MASRI
Département de français
Faculté des Lettres
Université de Khartoum
Alexis RAGOUGNEAU
Niels
Éd. Viviane Hamy, 2017 (356 p.)
Le mystère Canonnier
Tout en lisant, j’ai eu l’impression
que j’étais en train de regarder un film en noir et blanc. Comme l’histoire se
déroule durant la 2ème Guerre Mondiale, je m’attendais à lire sur
les horreurs, les ruines, la mort de ceux qu’on aime le plus mais ce n’était
pas seulement ça. Car Niels est également une histoire d’amitié. D’un
homme danois qui est allé très loin pour sauver son ami français, accusé d'être
un traître. Un homme juif, révolutionnaire qui a risqué sa vie au temps de
l’antisémitisme, à une époque où l’on vous tuait pour votre race. Le roman est
aussi une histoire du bouleversement de la société française durant
l’occupation allemande, la période la plus sombre de l’Histoire du pays.
« Les Français sous l’occupation avaient été à l’image de leur théâtre
national. Pleins de contradictions, de bravoure autant que de lâcheté,
d’opportunisme autant que d’abnégation. Jamais peut-être la devise du français
n’avait-elle été le pire avait côtoyé le meilleur, avec l’individualisme de la
pire espèce : simule et singulis ensemble et soi-même. Cette guerre, ils
l’avaient traversée ensemble autant qu’ils l’avaient vécus seuls. »
Dans l'ensemble, le roman est bien
écrit et plein de suspense. L'auteur a vraiment restitué l'affaire Cannonier
comme un mystère qui ne se révèle qu'aux dernières pages. Il n'était facile de
prévoir ni les événements, ni la fin de l'histoire. Au début, je n'étais pas
sûre que le fait d'écrire ce récit à la troisième personne du singulier fût le
bon choix. Mais après, j'étais convaincue que l'histoire ne pouvait être mieux
écrite que cela. À la fin, quelques questions nous viennent à l’esprit :
est-ce que Jean-François Cannonier méritait vraiment qu’on lui sauve la vie? Si
j'étais Niels, qu'aurais-je fait à sa place? Quant au style d’écriture, je l'ai
beaucoup apprécié. L'auteur a en effet utilisé un vocabulaire riche et
multiculturel, en intégrant aussi bien des mots allemands que des mots anglais.
Aussi conseillerai-je à celui qui, en général, évite de lire ce genre
d’histoire, de s’y plonger, parce que l'auteur a réussi à créer une histoire
unique, attirante et émouvante.
Ithar AMINE
Département de
français
Faculté des Lettres
Université de
Khartoum
Yannick HAENEL
Tiens ferme ta couronne
Éd. Gallimard, 2017 (334
p.)
Une tête d’écrivain mystiquement
alvéolée.
Cinéphile obsédé par la vision du film « Apocalypse
Now » ainsi que par les films de Cimino, addict à l’alcool, Jean comme
Jean Deichel (déchet, déchu), personnage récurrent de l’œuvre de Yannick Haenel
a pour seul compagnon un dalmatien nommé Sabbat. Le narrateur, vivant à Paris,
n’a qu’une seule idée en tête qui le frustre et le démange. Le voilà qui nous
embarque dans sa traversée de l’Atlantique afin de faire parvenir à Michael
Cimino (qu’il espère « réveiller ») un scénario de 700 pages. Il
s’agit d’un film dédié à Herman Melville, auteur de « Moby
Dick ».
En réalité, « Cimino était devenu un « paria »
suite à l’échec de son film « Heaven’s Gate ». À travers ses
productions, le metteur en scène explorait l’échec du rêve américain. […] Cette
terre d’émigrés qui promettait de devenir le pays de tous les immigrés […],
s’était retournée contre l’idée même [de l’]émigration et avait
systématiquement écrasé ceux qui s’obstinaient à en poursuivre le rêve (p.
20-21) ». Aux yeux du narrateur, Jean Deichel, Cimino incarnait dans le
cinéma américain ce que « Melville avait incarné dans la littérature
américaine. »
De retour à Paris, nous poursuivons les aventures du
narrateur tantôt loufoques, tantôt tristes ainsi que ses rencontres avec des
personnages hors du commun (Guy « le cobra », le sosie de Macron,
Isabelle Huppert…). Tout ceci va contribuer à la renaissance du personnage du
narrateur dont on ne connait ni les origines familiales ou sociales, ni
l’occupation professionnelle et dont le futur est incertain. D’ailleurs
lui-même décrit « son scénario [comme étant] la mort de
l’écrivain […] ; le moment où les écrivains se mettent à rêver de cinéma
est précisément celui qui marque leur mort en tant qu’écrivains. » (p. 14)
Jean, tout comme Melville était obsédé par la vision d’un
cachalot blanc, croit apercevoir un daim blanc caché à chaque encoignure d’une
scène filmée ou rêvée. Le personnage est à la recherche d’une certaine vérité,
d’un certain message camouflé. Saura-t-il trouver ce qu’il tente désespérément
d’atteindre par le biais de ses visionnements de films au fil des heures, des
jours, des semaines… ? D’ailleurs, ne s’est-il pas écrié au début du
roman : « j’étais fou » ? Ne faut-il pas être fou pour
devenir sage ?
Tel son narrateur, Yannick Haenel frise la cinquantaine, il
est également habité par Herman Melville dont il a commencé à lire les œuvres
dès l’âge de quatorze ans. Ce grand écrivain a déclenché son désir d’écrire. À
la page 15 du roman, on retrouve sa très belle définition de l’écrivain : « [c’]est
quelqu’un dont la solitude manifeste un rapport avec la vérité. […] C’est
quelqu’un qui, même s’il existe à peine aux yeux du monde, sait entendre au
cœur de celui-ci la beauté en même temps que le crime. [C’est quelqu’un] qui
porte en lui, avec humour ou désolation, à travers les pensées les plus
révolutionnaires ou les plus dépressives, un certain destin de l’être. »
« Tiens ferme ta couronne » est un roman construit en trois parties qui se suivent
chronologiquement même si de nombreux flashbacks en cassent le déroulement
linéaire. Le titre en lui-même est évocateur d’un certain royaume que le
narrateur a perdu, en fait ce dernier règne sur rien, il a une couronne
invisible qu’il tentera de récupérer au fil des pages. Un sentiment de solitude
affleure à travers les lignes mais cette solitude de l’écrivain n’est-elle pas
commune à tous les êtres humains ? Car nous cherchons tous un sens à notre
existence. Notre quête ne ressemble-t-elle pas au fond à celle du
narrateur ? N’aspirons-nous pas à atteindre quelque chose de
merveilleux ?
Bernard Pivot a d’ailleurs qualifié le roman de Yannick
Haenel d’ambitieux, « avec lui, écrit-il, on ne se plaindra pas du manque
d’imagination des romanciers français. » Dans ce livre, nous retrouvons
côte à côte aussi bien des scènes d’horreur, de tragique que des scènes de
beauté décrites dans les moindres détails, de manière très visuelle puisque
nous sommes chez les professionnels du cinéma.
Ce qui m’a surtout surpris chez cet auteur, c’est ce mélange
subtil entre les problèmes de la vie quotidienne et sa manière de comparer le
parcours de son héros à une Odyssée où évoluent les dieux olympiens et
particulièrement la chasseresse Diane. Notre narrateur retrouvera-t-il goût à
la vie ? Connaitra-t-il enfin le bonheur ? Son Odyssée le mènera
jusqu’en Italie. Pour retrouver cette envie de miracle qui imprègne le
livre : « je crois que si l’on n’espère pas un miracle, rien
n’arrive : ce qui ne tend pas vers le miracle rend servile ».
« Tiens ferme ta couronne », livre de 334 pages édité
chez Gallimard, affirme que la littérature est un royaume et que l’écrivain
doit œuvrer afin de perpétuer la puissante magie de la parole. Ce roman se lit facilement et on suit les
pérégrinations et les rencontres de l'écrivain avec un certain intérêt.
Emmy FRICKE
Département de Langue et Littérature Françaises
Faculté des Lettres et
des Sciences Humaines – Section 2
Université Libanaise
François-Henri
DÉSÉRABLE
Un certain
M. Piekielny
Éditions
Gallimard, 2017 (259 p.)
« Tenir
le monde en vingt-six lettres… »[1]
Vingt-six lettres
ont permis à François-Henri Désérable de tenir son lecteur en haleine, jusqu’à
ce que ce dernier les découvre lui-même dans le roman intitulé Un certain M.
Piekielny, paru en août 2017 aux Éditions Gallimard. Le jeune écrivain
s’élance dans une aventure risquée, cherchant une aiguille dans une botte de
foin. Cette aiguille, à peine distinguée, est le « M. Piekielny » du
titre. Quant à la botte de foin, personne ne sait si ce sont les pages de La
Promesse de l’aube ou l’époque de la
Deuxième Guerre mondiale en Lituanie. Or, ce qui est certain, c'est que F.-H.
Désérable offre aux lecteurs une véritable « matriochka ». En effet,
les différents thèmes emboîtés les uns dans les autres aboutissent à une
interrogation particulière : la littérature peut-elle devenir le porte-parole
des oubliés de l'Histoire?
D'emblée, il apparaît que le roman de F.-H. Désérable
n'est pas une simple recherche de personnage, mais que c'est une enquête
méticuleusement menée. Celle-ci comporte une part littéraire parce qu’avant
tout, M. Piekielny est un personnage du roman de Romain Gary intitulé La
Promesse de l'aube. Il y est signalé que M. Piekielny était l'un des
voisins de Roman Kacew (véritable nom de Romain Gary) et de sa mère Mina.
Pourquoi alors citer cet homme dans un tel roman ? C’est qu’il paraît
qu'au moment où Mina Kacew formulait ses convictions quant au destin grandiose auquel
est destiné son fils, personne n’y croyait, sauf son voisin, M. Piekielny.
Celui-ci est certain que le futur Romain Gary, devenu grand homme, rencontrera
des personnalités appartenant à la haute société. Pour cela, il fait promettre
à l'enfant de parler de lui devant eux : « quand tu rencontreras de grands
personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire au n°16 de la
rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny… ».
Cette
promesse tenue par R. Gary éveille aussitôt la curiosité de F.-H. Désérable :
notre auteur part à Wilno (Vilnius, actuelle capitale de la Lituanie) sur les
traces de M. Piekielny surnommé par R. Gary la « souris triste ». Il
consulte les archives administratives, y retrouve les noms de Mina et de Roman,
mais jamais celui de M. Piekielny. Alors, un tourment se fait jour dans
l'esprit de l'écrivain enquêteur ainsi que dans celui du lecteur entraîné dans
l'enquête. « Mais alors, ce M. Piekielny, avec […] sa barbiche roussie par
le tabac, n’aurait donc existé que dans l’esprit de Gary ? Où finit la
vérité ? Où commence le mensonge ? »[2].
L'enquête littéraire de F.-H. Désérable est bien plus
riche qu'il ne paraît au premier abord. Celle-ci se double d'une autre enquête,
historique cette fois-ci. Ainsi, l'auteur trouve-t-il l'occasion de rappeler
les événements terrifiants que la communauté juive a vécus en Lituanie à
l'époque du Nazisme. Les Juifs exterminés et massacrés sont désormais
considérés comme les oubliés de l'Histoire. Pour cela, le narrateur, fort ému à
Wilno, s'exprime en disant: « lorsqu'on va à Vilnius, qu'on appelait la
Jérusalem de Lituanie, on se rend compte que tout a disparu [...]. Ce qui est
très émouvant, c'est que dans certaines rues, on voit les traces du passé juif
de la ville ». Ceci le pousse, par conséquent, à imaginer le sort de M.
Piekielny et les injustices qu'il aurait subies en tant que Juif.
En outre,
entre les lignes de Un certain M. Piekielny, se cache un hommage à
Romain Gary. D’ailleurs, l’auteur du livre affirme que « ce
M. Piekielny est surtout un fil rouge […] pour parler de [son] rapport à Romain
Gary et lui rendre hommage ». En réalité, lorsque F-.H Désérable était
bachelier, il n’avait lu qu’un seul des livres inscrits au programme du Bac
français, celui de Romain Gary, La Promesse de l’aube. Heureusement, la
question de l’examinateur le jour J fut : « que pouvez-vous me dire
sur le chapitre VII de La Promesse de l’aube ? ». Il est ici
évident que le hasard a joué un rôle-clé dans la réussite de l’écrivain à
l’épreuve du bac. Mais le grand intérêt qu’il porte au livre n’est pas gratuit.
La mère de F.-H. Désérable se trouve être
du même genre que Mina Kacew et au fil des pages, F.-H. Désérable
s’éloigne du sujet principal de son œuvre pour aborder sa déception de le voir
écrire au lieu de pratiquer un métier plus gratifiant. En d’autres termes, elle
aurait souhaité que son fils soit avocat ou professeur de droit, et non
écrivain. Pourtant, son fils lui confie : « désolé pour tes rêves
évanouis, je n'ai que mes livres et je les dépose à tes pieds ». De fait,
ce sont les ressemblances entre les deux femmes qui ont fait que notre jeune
écrivain s’est justement senti appelé par le roman. De toute façon, il se
révolte en avouant : « … là où Romain Gary s'était mis à écrire pour
la sienne, c'est à la fois grâce à la mienne et contre elle que je suis devenu
écrivain : ce qui aujourd'hui m'emporte et m'exalte et me tient lieu de vie,
c'est à elle, sans doute, que je le dois ». Donc, bien que F.-H. Désérable
ait vécu à une époque autre que celle de Gary, il semble bien que les mères
restent les mères.
Laissant de côté
les digressions du narrateur, l’éloge que fait F.-H. Désérable
de la littérature marque l’œuvre et répond à tous ceux ou celles qui
« prétend[ent] parfois que la [littérature] ne sert pas à grand-chose,
qu’elle ne peut rien contre la guerre, l’injustice, la toute-puissance des
marchés financiers – et c’est peut-être vrai. Mais au moins sert-elle à
cela : à ce qu’un jeune homme égaré dans Vilnius prononce à voix haute le
nom d’un petit homme enseveli dans une fosse ou brûlé dans un four,
soixante-dix ans plus tôt, […], mais que ni les nazis ni le temps n’ont réussi
à faire complètement disparaître, parce qu’un écrivain l’a exhumé de
l’oubli »[3].
Dans une même
perspective, il souligne les liens entre fiction et réalité en montrant que
« l’imaginaire se [déploie] par miracle pour assujettir le réel »[4].
F.-H. Désérable,
à travers cet éloge, insiste également sur l’importance accordée aux
personnages de fiction ayant comme rôle primordial de rendre hommage à un
auteur. Autrement dit, ceci devient une manifestation de la puissance de
l’écriture « à mettre en lumière un personnage [tout] en allumant sa
chandelle à celle de son écrivain favori »[5].
Marie-Laure BEJJANY
Département de langue et
littérature française
Faculté des lettres et sciences humaine –
Section 2
Université Libanaise
[1] DÉSÉRABLE, François-Henri, Un
certain M.Piekielny, Gallimard, p. 259.
[2]
Ibid.,
p. 242
[3]
DÉSÉRABLE,
François-Henri, Un certain M.Piekielny, ed.Gallimard, p.259
[4]
Idem.
Alice
ZENITER
L’Art de
perdre
Éd. Flammarion, 2017 (512 p.)
Éd. Flammarion, 2017 (512 p.)
À la Recherche de l’Algérie perdue
L’art de perdre est un roman d’Alice
Zeniter, romancière et dramaturge française, lauréate de plusieurs prix
littéraires. A priori, le titre suscite plusieurs interrogations. De quel genre
de perte s’agit-il ? Perte de soi ? D’une personne chère ? D’un
bien foncier ? D’une fortune ? Ou d’un pays ? Le titre du livre
est extrait du poème d’Elizabeth Bishop intitulé L’art, où la locution
« l’Art de perdre » est reprise de façon anaphorique.
Le livre est constitué de
trois grands chapitres, chacun d’eux relatant l’histoire d’une génération en
particulier. Le premier est consacré à Ali, un chef de clan qui a tout perdu à
cause de sa prise de position politique. Le deuxième rapporte le parcours de
Hamid, d’abord jeune adolescent bercé par les idées révolutionnaires de Marx,
ensuite père de famille conservateur et responsable, soucieux de maintenir ses
filles dans une bulle de confort. Le troisième chapitre relate enfin l’histoire
de Naïma, femme un peu déboussolée, impatiente de découvrir son pays d’origine
et soucieuse de l’arracher à l’oubli.
Le
trajet Algérie-Marseille en bateau que la famille d’Ali effectue avant de
prendre la route de la Normandie sera accompli de nouveau par Naïma, mais en
sens inverse, à partir de Paris. Comme si l’action du destin devait se
reproduire en suivant également un itinéraire inversé, cette fois-ci.
Naïma, tout comme Alice
Zeniter, est née d’un père algérien, fils de Harki, et d’une mère française.
Dès le début, elle commence à s’interroger sur ses origines. Ce sont les
paroles de son oncle Mohammad qui ont déclenché les questions: « Qu’est-ce
que vous croyez qu’elles font vos filles dans les grandes villes ? Elles
disent qu’elles partent pour leurs études. Mais regardez-les : elles
portent des pantalons, elles fument, elles boivent, elles se conduisent comme
des putes. Elles ont oublié d’où elles viennent. » Aussi Naïma
cherche-t-elle à combler son manque d’information par les recherches et la
fiction : « C’est pour cela aussi que la fiction tout comme les
recherches est nécessaire, par ce qu’elles sont tout ce qui reste pour combler
les silences transmis entre les vignettes d’une génération à l’autre ».
Elle résume alors les accords d’Évian et se lance dans toutes sortes d’enquêtes pour essayer de retracer l’histoire de
sa famille. De manière similaire, Alice Zeniter a établi des recherches et
s’est basée sur plusieurs livres, notamment Algérie 60
de Pierre Bourdieu et La double absence d’Abdel Malek Sayad.
Ce roman, dont la trame
évolue en fonction des relations franco-algériennes et des rapports de force
constitutifs de l’histoire des deux pays, reproduit admirablement les
traditions kabyles qui régissent la vie de clan. L’honneur y est placé sur un
piédestal, la protection du foyer y est primordiale et l’hostilité vis-à-vis
des Français, une condition d’intégration à la communauté. Le principe de
division entre le masculin et le féminin, comme l’affirme Bourdieu, fonde la
société d’alors, catalysée par les croyances religieuses de cette société
patriarcale. Parallèlement à l’image d’une vie rurale traditionnelle, l’auteur
dépeint aussi les conditions précaires des camps de réfugiés où Ali et sa
famille arrivent après avoir quitté l’Algérie, avant que leur situation ne
s’améliore. Alice Zeniter met également l’accent sur le parcours de Hamid,
jeune adolescent qui vit sa révolte sur le mode romanesque voire philosophique.
Influencé par les idées marxistes, il commence peu à peu à se détacher de son
pays d’origine à tel point que l’Algérie devient pour lui « un pays
absent ».
Sa façon de reproduire les
petites scènes de la vie quotidienne révèle les talents de dramaturge d’A.
Zeniter. Dans cette perspective, elle a intégré dans son texte des mots
empruntés à sa langue d’origine (Mektoub, Kanoun, Meskina).
Les passages descriptifs et ceux, assez nombreux, qui contiennent des références
littéraires ou artistiques attestent d’une vaste culture et d’un sens aigu de
l’observation. Maitresse du temps narratif dans son œuvre, A. Zeniter y agence
des prolepses où sont rapportées les recherches et les pensées de Naïma
concernant son avenir. Sa description des scènes érotiques, échelonnées sur les
différentes périodes de l’histoire, confirme aussi son talent.
Ainsi, L’art de perdre
est à la fois roman historique et histoire d’une famille. Néanmoins, le
discours narratif, vibrant d’émotions, prend nettement parti pour les harkis
qui lèguent leur statut à leurs descendants. Ceux-ci demeurent tiraillés entre
leur pays d’origine et leur pays d’accueil.
L’œuvre d’A. Zeniter ne
néglige pas pour autant la société où elle vit. Tout en esquissant résolument
cette quête de l’identité, elle dénonce une réalité où règne le monde virtuel
et où l’exhibitionnisme devient de plus en plus habituel.
Joanne RIZK
Département de Langue et Littérature Françaises
Faculté des Lettres et des
Sciences Humaines – Section 2
Université Libanaise
Olivier GUEZ
La
disparition de Josef Mengele
Éd. Grasset, 2017 (231 p.)
L’ANGE NOIR
Le génocide a ébranlé l’Humanité et
a poussé les écrivains, les cinéastes, les poètes et les peintres à agir, par
le mot et l’image, contre la violence. Ces artistes ont voulu éveiller les
consciences en relatant,
dans leurs œuvres, les injustices commises contre l’être humain. Olivier Guez a
évoqué la « shoah », l’une des profondes blessures
de la Deuxième Guerre mondiale. Dans son roman La Disparition de Josef Mengele, paru aux éditions Grasset (France,
2017), il présente Josef Mengele, un criminel de guerre nazi, en
l’immortalisant au moyen de la composition et du style. La Disparition de Josef Mengele s’avère être un document de
référence traitant des réalités amères et analysant des faits connus et
reconnus par le lecteur contemporain.
Né à Strasbourg en 1974, Olivier Guez est journaliste et écrivain français.
Sa vie professionnelle, riche en enquêtes et en reportages sur l’Europe
Centrale, l’Amérique latine, le Moyen-Orient et l’Union européenne, fait de lui
un spécialiste chevronné. Ce roman illustre la cavale de Josef Mengele, cet
ange de la mort, ce bourreau dont l’image demeure gravée dans les esprits.
C’est un médecin nazi qui a commis à Auschwitz d’atroces expérimentations sur
les déportés juifs. Il figure sur la liste américaine des criminels de guerre
et son nom a été cité lors de plusieurs procès : « Mengele est
le prince des ténèbres européennes. Ce médecin orgueilleux a disséqué, torturé,
brûlé des enfants et envoyé
quatre cent mille hommes à la chambre à gaz en sifflotant ». « Cet avorton de boue et de feu » s’était pris pour un demi-dieu, foulant aux
pieds les lois et les commandements, et infligeant sans états d’âme tant de
souffrances aux hommes, ses frères.
La Disparition de Josef Mengele décrit l’itinéraire de Mengele, du début de ses aventures à Buenos Aires
jusqu’à sa disparition. Gardien de la pureté de la race et alchimiste du nouvel
homme aryen, il mène une vie insouciante, commettant des crimes impardonnables
comme les avortements clandestins : « Heureux,
si fier, dans ce monde de ruines et de vermines déserté par Dieu, il a la
liberté, l’argent, le succès ».
Personne ne l’a arrêté et personne ne l’arrêtera jamais.
Pour échapper aux services secrets allemands et israéliens, Mengele se
trouve obligé de disparaître au Brésil où il sombre dans la paranoïa. Peut-il se cacher derrière
sa maladie et échapper au châtiment ? Deviendra-t-il un personnage
mythique ?
Olivier Guez transmet aux lecteurs une somme de références culturelles et
historiques témoignant d’une analyse
rigoureuse et rendant le roman plus authentique : abondance des noms
propres de personnes réelles telles que Adenauer,
Bauer, Rolf Mengele ; description minutieuse des sentiments et des
émotions : « Pour Mengele,
la pitié est une faiblesse » ; précisions spatio-temporelles ; vocabulaire riche et varié.
Cependant, si les informations présentes dans le livre sont facilement
vérifiables dans les encyclopédies ou sur des sites internet, où réside alors l’originalité d’O.
Guez ? En vérité, par son discours narratif, l’auteur réussit à convaincre
le lecteur de la pathologie destructive de Mengele. De surcroît, il interrompt
le récit à plusieurs endroits pour commenter les faits et exprimer son point de
vue, faisant preuve d’audace et de sincérité : « Le Mossad n’a pas transmis ses informations
brésiliennes aux services secrets allemands, c’est compréhensible, mais
pourquoi n’a-t-il pas contacté directement Bauer qui lui avait livré
Eichmann ? Mystère ».
Dans La Disparition de Josef Mengele,
le lecteur est ainsi invité à s’interroger sur l’étrange personnalité de Mengele, surtout que ce dernier ne
manifeste aucun remords tout le long de l’histoire : « Pour sa
génération, les inférieurs, les improductifs et les parasites étaient indignes
de vivre ».
Finalement, l’on se demande : Ce
Mengele, était-il un psychopathe ou simplement un médecin nazi obéissant
aux ordres, convaincu d’accomplir un devoir professionnel?
Marianne CONSTANTINE
Département de Langue et Littérature Françaises
Faculté des Lettres et des Sciences
Humaines – Section 2
Université Libanaise
Véronique OLMI
Bakhita
Éd. Albin Michel, 2017 (456 p.)
Une histoire merveilleuse
À une époque de
guerres et de malheur, qui s’étend du XIXe au XXe siècle, plus précisément
entre 1869 et 1947, une petite fille exceptionnelle et « chanceuse » a survécu
« dans le chaos furieux du monde ». Il en est peu qui connaissent cette femme,
qui a pourtant existé. Ils la connaissent soit grâce au film biographique
« Bakhita » de Giacomo Campiotti, diffusé en 2009, soit d'après le
récit testimonial de la sainte Giuseppina-Bakhita intitulé « Storia
Meravigliosa », auquel la dramaturge, comédienne et romancière française
Véronique Olmi fait référence dans son treizième roman, « Bakhita », paru aux Éditions Albin Michel. Une histoire merveilleuse en effet!
Et comme l'a si bien écrit V. Olmi, « pour qu’une histoire soit merveilleuse,
il faut que le début soit terrible ».
C’est à Olgossa, dans
la province du Darfour au Soudan, alors que règne « la musique tranquille
d’un village paisible qui cultive ses champs » que commence le récit, au
cœur de cette Afrique où les femmes chantent en battant le sorgho pendant que
les enfants jouent, inventent, imaginent et donnent vie à tout ce qui les
entoure. Elle était l’une de ces enfants. Elle avait un frère et trois sœurs
dont l’une est sa jumelle : le début d’un conte de fées … ou d'un mythe
africain!
Cependant, des
ravisseurs s’en prennent au village, qu’ils saccagent pour voler, tuer, enlever
les jeunes afin de les vendre à bon prix dans le grand trafic de Khartoum.
Désormais, les villageois vivent dans la peur. Ils répètent sans relâche aux
enfants de ne pas s’éloigner, de ne pas parler aux étrangers. Et pourtant, la
petite subira deux ans plus tard le même sort. Elle a sept ans environ, et ce
sont les belles petites filles qui se vendent le mieux. « Abda », lui
dit sa nouvelle compagne Binah. Dès lors, elle a su qu’elle sera esclave toute
sa vie. Elle n’a rien emporté avec elle, pas même son nom. Les marchands lui
choisissent alors arbitrairement le nom de « Bakhita », la chanceuse en arabe
ou celle qui sèche les larmes en hébreu. Ce nom sera l’emblème de sa vie. Elle
sera vendue et revendue plusieurs fois. « Djamila » : elle
n’entendait que ce mot à chaque fois qu’on voulait la vendre. Elle traversera à
pied des milliers de kilomètres, les déserts, les montagnes, les rives, les
forêts... Elle fuira avec Binah mais on les retrouvera. Elle subit ainsi toutes
les horreurs possibles : la cruauté des femmes et le viol, «le crime dont
on ne meurt pas », dans la maison de son premier maître arabe, les coups
de fouets de la femme du général turc au matin avant le travail. Pour qu’elle
puisse se vanter devant ses invités de la beauté de cette esclave, elle la fera
tatouer, chairs ouvertes. Ces blessures la font presque mourir. Malgré cela,
Bakhita parvient à survivre en s’évadant par l’imagination, avec l’espoir de
retrouver un jour sa famille, espoir qu’elle nourrit tout en acceptant de faire
son chemin de croix. N’y aurait-t-il donc pas une fin à toutes ses
tortures ?
L’instinct de survie
et la complexité de cette femme éveillent la curiosité et suscitent l’admiration
du lecteur qui se demande au fil des pages d’où celle-ci puise sa force d’âme
pour se reconstruire, et comment elle arrive à rester « bonne et
douce » devant cette inhumanité. Il est saisi par cette histoire
surprenante, poursuivant sa lecture avec délice et passion. Le lecteur se prend
d’affection pour Bakhita, revivant avec elle ses souffrances, pénétrant ses
pensées. Il perçoit son innocence, pleure et rit avec elle, ressentant la
tendresse qu’elle a pour les esclaves, les enfants, les femmes, les malades, en
somme, pour la vie.
Naturellement, c’est
le talent remarquable de Véronique Olmi qui a contribué à produire un effet
aussi saisissant sur le lecteur. La romancière a travaillé le langage plutôt
que les archives en insistant sur la prédominance des sensations, des
perceptions, des rêves et des pensées du personnage éponyme. Sans oublier que
le rythme du récit est parfaitement structuré. V. Olmi a su reconstituer la vie
mouvementée de l’héroïne par son style, berçant les lecteurs par des images
évanescentes, les emportant vers le monde des esclaves où chaque mot se fait
entendre comme « le bruit d’un tam-tam », en harmonie avec les battements du
cœur de Bakhita.
Dans la deuxième
partie du livre, Bakhita sera rachetée par le consul italien Castillo Legnani
avec qui elle quittera son pays natal pour aller en Italie. À Venise, elle
séchera les larmes de Maria Michieli en sauvant sa fille mourante. Elle
deviendra la nourrice de la petite Mimmina tandis qu’elle fait la connaissance
d’un Dieu qui l’aime. Après avoir été affranchie lors d’un procès, elle
demandera à devenir « la fille d’un père qui ne l’abandonnera
jamais ». « La prison est dehors. Être au couvent c’est être
libre », disait-elle. Mais est-elle vraiment libre ? Les regards des
Italiens ne font-ils pas aussi mal que les coups de fouet ? Bakhita
gardera-t-elle toujours cet amour pour l’humanité sous le régime fasciste de
Mussolini, durant lequel on l’a exhibée à tout venant?
Véronique Olmi nous
plonge dans un roman inouï qui met en valeur les souffrances, les tourments,
mais aussi la charge immense d’amour qui déborde du cœur de l’héroïne et qui la
porte toujours du côté de la vie. Un roman plein du souffle de cette âme forte
qu’est Bakhita. Lire son histoire même romancée, c’est la rencontrer. Et la
rencontrer est une chance et un privilège.
Nathalie GHAOUCHE
Département de langue et littérature française
Faculté des lettres et sciences
humaine – Section 2
Alice ZENITER
L’Art de perdre
Éd. Flammarion, 2017 (512 p.)
Éd. Flammarion, 2017 (512 p.)
Dépossédés
« Quand on est réduit à chercher sur
Wikipédia des renseignements sur un pays dont on est censé être originaire,
c’est peut-être qu’il y a un problème ».
Issue de la troisième génération d’immigrés en France, Naïma n’a jamais connu l’Algérie, ne parle que le français et ne comprend pas l’arabe. Pourtant elle craint l’amalgame suite aux attentats terroristes. L’Algérie n’est qu’une terre lointaine et fantasmatique pour Naïma, et une terre perdue pour son grand-père, Ali. Par le biais d’une exposition artistique sur le vieux peintre algérien Lalla, Naïma se rend en Algérie avec la peur d’affronter le passé enterré de sa famille. Les évènements s’enchaînent, s’empilent et les personnages familiaux du passé défilent. Au gré des pages, Naïma cherche des réponses à ses introspections récurrentes qui passent par un questionnement existentiel.
Issue de la troisième génération d’immigrés en France, Naïma n’a jamais connu l’Algérie, ne parle que le français et ne comprend pas l’arabe. Pourtant elle craint l’amalgame suite aux attentats terroristes. L’Algérie n’est qu’une terre lointaine et fantasmatique pour Naïma, et une terre perdue pour son grand-père, Ali. Par le biais d’une exposition artistique sur le vieux peintre algérien Lalla, Naïma se rend en Algérie avec la peur d’affronter le passé enterré de sa famille. Les évènements s’enchaînent, s’empilent et les personnages familiaux du passé défilent. Au gré des pages, Naïma cherche des réponses à ses introspections récurrentes qui passent par un questionnement existentiel.
Alice Zeniter,
suivant la maxime d’Homère selon laquelle « les malheurs des hommes
sont faits pour être chantés », décide d’élaborer une épopée à partir
de la vie de ceux qui subissent une double peine : stigmatisés comme
immigrés par les Français et comme traîtres par les Algériens. Un récit singulier, au souffle puissant, prenant le temps de
décrire minutieusement le quotidien de personnages désorientés à travers trois
parties.
L’ample roman
fait revivre dans la première partie, de manière magistrale, un homme qui peine
à comprendre les enjeux de la Guerre d’Algérie et ne voit qu’une priorité,
sauver sa famille des maquisards du FLN en mettant son village sous la
protection des Français. Ali « a fait le choix, se dira Naïma plus
tard […] d’être protégé d’assassins qu’il déteste par d’autres assassins
qu’il déteste ». Il a vu tant d’errances humaines depuis son enfance
en Kabylie du côté des montagnes surplombant Lakhdaria,
jusqu’à cette ville de Normandie où il termine sa vie. Afin de se libérer d’un
passé douloureux longtemps resté sous silence, A. Zeniter réalise un vrai
travail de mémoire commun aux deux rives de la Méditerranée; elle fait
ressurgir le passé en entamant un dialogue, donnant ainsi la parole à des
acteurs oubliés de la guerre d’Algérie, les harkis. Ce silence glorifié, exalté
et commémoré est le socle fondamental du régime politique algérien qui
préfère occulter la présence de « traîtres » dans une Histoire
officielle présentant un peuple héroïque unifié. Aussi ces harkis sont-ils les
grains de sable dans le rouage de la machine. Dans une scène où se déroule une
discussion hors du temps, Ali et Mohand, un maquisard du FLN, font la synthèse
de ce qui s’est passé durant le conflit meurtrier, se rendant compte par la
suite que les quêtes des uns et des autres n’ont jamais été satisfaites. Ali va
jusqu’à révéler que très peu de harkis étaient contre l’indépendance
algérienne.
Avec une plume
alerte quoique très sobre, Alice Zeniter écrit dans la deuxième partie « On
ne leur a pas ouvert les portes de la France, juste les clôtures d’un camp »
pour désigner l’existence tumultueuse et triste des harkis dans les camps
entourés de barbelés au Sud de la France, après les accords d’Evian en mars
1962.
Arrivé en France, Ali est humilié et doit faire face aux maugréements d’un tenancier, qui voit d’un mauvais œil l’arrivée des harkis sur le sol métropolitain. Hamid, le fils, apparaît dans la deuxième partie. Fils de harki, il grandit isolé dans un HLM de banlieue, entre le silence de son père et le rejet de la société française. Déterminé à rattraper son retard et brillant dans ses études, il choisira la fonction publique pour servir son pays, la France. Sa honte vis-à-vis de l’illettrisme de son père ne le quittera jamais. Il épouse par la suite une Française, Clarisse, avec laquelle il aura quatre filles, dont Naïma.
Arrivé en France, Ali est humilié et doit faire face aux maugréements d’un tenancier, qui voit d’un mauvais œil l’arrivée des harkis sur le sol métropolitain. Hamid, le fils, apparaît dans la deuxième partie. Fils de harki, il grandit isolé dans un HLM de banlieue, entre le silence de son père et le rejet de la société française. Déterminé à rattraper son retard et brillant dans ses études, il choisira la fonction publique pour servir son pays, la France. Sa honte vis-à-vis de l’illettrisme de son père ne le quittera jamais. Il épouse par la suite une Française, Clarisse, avec laquelle il aura quatre filles, dont Naïma.
Ce roman
sociologique reflète les enjeux d’une intégration trop souvent manquée à cause
d’une « double absence » : l’absence du pays que l’on a quitté,
et celle du pays que l’on pensait trouver en arrivant, et qui n’est pas celui
où l’on s’installe. Cette fresque romanesque puissante et audacieuse nous
propose une expérience sensible, à travers une histoire intergénérationnelle,
loin des discours politiques formatés. Roman truffé d’anecdotes qui se fonde
essentiellement sur un questionnement permanent de l’identité, l’œuvre d’Alice
Zeniter est à la fois vivante, foisonnante, passionnante et indéniablement
poignante.
Adiba SULEIMAN
Département de Lettres Françaises
Département de Lettres Françaises
Faculté des lettres et des
sciences humaines – Campus Liban-Nord
Université Saint-Joseph
Alexis
RAGOUGNEAU
NIELS
Éd. Viviane Hamy,
2017 (356 p.)
L’enquête d’un ancien
résistant
Alexis Ragougneau est un
écrivain français né en 1973 et dont le premier roman a été publié en 2009.
Depuis 2014, il a adopté le style policier.
“Evangile pour un gueux”et ‘’La Madone de notre
dame’’, deux romans policiers, ont battu un record. A. Ragougneau a déclaré dans un entretien qu’il ne cherche
guère exposer sa propre biographie, et que selon lui, le lecteur ne doit
s'intéresser qu'à la vie et la biographie de ses héros.
Il signale également dans
un reportage que Niels nouait étroitement deux années, à savoir 1945 et
2017. En tant qu’auteur, il considère que son rôle est de présenter à son
lecteur une large fresque extraite de la Deuxième Guerre mondiale mais
singulièrement sur le plan artistique (théâtre, auteurs, etc.).
Pour atteindre son but, l’écrivain s’est attaché à collecter des informations
sur des événements historiques marquants qui se rapportent à la Deuxième Guerre
mondiale. Il a commencé par lire des documents et à visionner des films comme
‘’ Monsieur Klein’’, pour s'en inspirer et créer ainsi son propre roman.
Niels, de nationalité
danoise, est devenu résistant par amour pour Sarah, qui a été comme lui
résistante et qui est tombée enceinte à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Un jour, Niels reçoit une lettre anonyme dans laquelle se trouve une page
déchirée du ‘’Parisien Libéré". Il y découvre un article qui porte
sur son ancien ami, Jean-François Cannonier qui a été accusé de haute trahison.
Avant la guerre, les deux amis avaient coutume de faire du théâtre. Niels était
le metteur en scène et Jean-François le dramaturge.
Niels prend alors la
décision de partir à Paris pour aider son ami et essayer de découvrir la
vérité. À chaque phase de son enquête, il va rencontrer plusieurs
personnes : certaines l'aideront tandis que d’autres en auront juste la
velléité (Balard, le colonel Santimaria, Anne-Cha...).
Dans ce roman, les détails
dépeignant des scènes vivantes sont précis, révélant un travail ingénieux de
recherche. De plus, l'agencement des scènes donne l’impression que nous sommes
en train de regarder un film.
Dans ce roman historique,
s'entremêlent réalité et mystère qui nous poussent à chaque fois à interrompre
la lecture non seulement pour se poser maintes questions, mais aussi pour
savourer le moindre détail. C’est ainsi que la lecture de ce roman représente
une chance d’accompagner l’auteur en essayant d’imaginer ‘’comment sera la
fin ??’’.
Niels nous offre enfin
l’opportunité de reconnaitre les difficultés et les circonstances douloureuses
que le peuple français a affrontées au moment de la guerre. En revanche, le
déroulement des événements ne suit pas le même rythme. Les deux premières
scènes du premier acte ont un rythme rapide. Quant au deuxième acte, le rythme
y devient trop lent, ce qui peut risquer de lasser le lecteur.
On vous conseille de lire
ce roman intéressant surtout si vous voulez vivre une aventure historique.
Raghda ALI & Lina AHMED
Département de
langue et littérature françaises
Faculté des Lettres
Université
d’Alexandrie
Alexis RAGOUGNEAU
Niels
Éd. Viviane Hamy, 2017 (356 p.)
À la recherche d’une cause perdue
“Rien n’est blanc ou noir […] le blanc,
c’est souvent le noir qui se cache et le noir, c’est parfois le blanc qui s’est
fait avoir.”[1]
Niels, nouveau roman du dramaturge Alexis Ragougneau, est un
fleuve qui se déverse dans un océan de doutes pour tout remettre en question.
La vérité et le mensonge, les valeurs et le vice, le bien et le mal, le beau et
le laid, sont autant de valeurs qui y sont interrogées. Publié par la maison
d’édition Viviane Hamy, ce roman dénonce la « comédie humaine »[2] jouée par des héros de fiction similaires
en tout point à ceux qui font l’Histoire de la fin de la Deuxième Guerre
mondiale.
Dès les premières pages, nous percevons
l’association entre l’art et la guerre : graffitis, chansons, et théâtre
font un éloge de la violence. Niels Rassmussen, à la fois résistant danois et
artiste français, est sur le point d’être auréolé pour son courage et son
mérite durant la guerre. Parallèlement, il attend la naissance de son enfant.
Tout d’un coup, il décide « de tourner le dos à la lumière », et
prend la direction de Paris. Tout porte à croire qu’il est allé au secours de
« son frère de cœur », Jean-François Canonnier, pris dans l’engrenage
des tribunaux chargés de juger tous ceux qui ont collaboré avec l’ennemi. Il
désire comprendre ce que Jean-François a fait, et se pose des questions sur le
« comment » et le « pourquoi », sur la cause de sa collaboration
avec les Allemands – la vraie. Cependant au fils des pages, il commence à
remettre en question le motif de son départ. Le retour à Paris ne serait-il pas
en réalité un retour aux sources, vers les lieux où il mit en scène ses
premières pièces avec son ami ?
Les souvenirs le portent ainsi vers le
théâtre d’avant-guerre et sauvent de l’oubli la figure de l’enfant qu’il était.
D’ailleurs, la voix de « l’enfant qui crie dans sa tête » devient
progressivement un leitmotiv dans le texte. Un leitmotiv, symbole de la
conscience qui se réveille pour l’appeler, pour l’alarmer : qu’est-il donc
devenu après cette guerre ? D’une part, cet enfant l’extirpe du sol de la
violence dans lequel il s’était englué, et d’autre part, il lui rappelle le
futur bébé qu’il attend avec sa femme, bourgeon d’une nouvelle vie, promesse
d’amour et d’espoir.
En parallèle, au cœur de ces péripéties
romanesques, la passion de Ragougneau pour le théâtre a son mot à dire. Que ce
soit par la métaphore ou par la composition, Alexis Ragougneau intercale des
pièces de théâtre au beau milieu du roman. Avec un style épuré, il y fait jouer
des personnages réels référentiels tel que Jean Cocteau, Marcel Jouhandeau,
Claude Roy, et leur fait subir une critique acerbe à travers leur propre parole.
Ils deviennent ainsi des comédiens dans leur propre société.
En effet, dans ce roman, le
psychologique côtoie le social. Ragougneau relate les faits via le regard de
Niels. Il expose tous les points de vue et tente toutes les prises de position.
Il défend l’accusé et l’accusateur, comme il accuse l’accusateur et l’accusé.
Il n’épargne personne : ni avocat ni juge, ni officier ni prisonnier, ni
traitre ni résistant. Pour lui, chacun a le droit d’être défendu, personne n’a
le droit de juger. Et tout homme a toujours, et dans toutes les circonstances,
sa part de responsabilité. Même ceux qui ne sont pas jugés par les tribunaux,
ce n’est pas leur « blancheur » qui les aura sauvés.
En fin de compte, le héros prend
conscience que tout le monde porte un masque, joue un rôle, le monde se
transformant en théâtre universel où le paraître et l’être sont définitivement
séparés. Et finalement, une question se pose : Et si c’était l’Allemagne qui
avait gagné la guerre, quelle aurait été l’histoire de la grande Histoire ? Qui
auraient été les héros ? Qui seraient les criminels ? La recherche de la cause
synonyme d’engagement rejoint ainsi la recherche des causes-motifs qui poussent
l’homme à faire des choix inconcevables. Il ne nous reste plus qu’à découvrir
comment Niels parviendra à retrouver ses Causes perdues dans le labyrinthe de
la guerre.
Juliana SASSINE
Département de langue
et littérature française
Faculté des lettres et sciences humaine – Section 2
Université
Libanaise
[1] Romain Gary, La vie devant soi.
[2] Honoré de Balzac, La comédie humaine, titre.
Monica SABOLO
Summer
Éd. Jean-Claude Lattès, 2017 (160 p.)
Éd. Jean-Claude Lattès, 2017 (160 p.)
SUMMER : Histoire de manque.
« S’ils savaient. Ceux qui
nous regardent, depuis toutes ces années, émoustillés par le chagrin et la
déchéance, qui nous ont si longtemps scrutés, enviés, adorés, tous ceux-là,
s’ils savaient, s’écrieraient, horrifiés: il y a quelque chose qui n’allait
pas, dans cette famille. »
Monica
SABOLO, née le 2 juillet 1971, à Milan en Italie, est une écrivaine et
journaliste française. Elle a écrit Summer en 2017, et ses œuvres
principales sont Tout cela n’a rien
à voir avec moi, qui a remporté le Prix de Flore en 2013 et Crans-Montana, qui a reçu le Grand Prix
de la Société des Gens de Lettres en 2015.
L’auteure
critique ici les apparences et la vie parfaite d’une famille. Elle le fait à
travers un récit sur l’oubli, une histoire de manque et de non-dits, où le
sujet central est la disparition d’une jolie fille qui s’appelle Summer au bord
du lac Léman, lors d’un pique-nique.
Monica
Sabolo compose là un roman plein d’une poésie sombre qui instaure le mystère.
Un roman cinématographique…
Dès
les premières pages, le lecteur fait connaissance avec Benjamin, le frère cadet
de Summer, qui est aussi le narrateur et le personnage principal, enfermé dans
le souvenir de sa sœur, après sa disparition mystérieuse l’été de ses 19 ans
sans aucun indice, aucune trace.
L’auteure
a l’art de décrire l’absence, elle dresse le portrait de l’absente (Summer) et
les rivages sur lesquels se débat son frère (Benjamin). Benjamin est perturbé
par la disparition de sa sœur et son absence continue à le hanter.
À
travers la disparition de Summer, l’écrivaine « met en pièces une famille
bourgeoise implacable », s’appliquant à dévoiler « les coulisses de
ces familles aisées qui font payer aux adolescents le prix de leurs
tensions ».
C’est
une histoire de famille bourgeoise qui préserve les apparences. Une famille
idéale et parfaite... En apparence.
Ne
vous attendez pas à une enquête sur la disparition d’une jeune fille, parce que
ce n’est pas du tout le cas. Il s’agit plutôt ici des adolescents victimes d’une
famille bourgeoise, victimes des choix des parents, victimes en somme de
l’apparence.
Au
fur et à mesure que Benjamin se remémore les circonstances de la disparition de
Summer, la lecture du passé se fait moins idéale. Des indices étranges viennent
fissurer ce bonheur d’apparence, des secrets qui détruisent toute une famille.
Les
parents Wassner vivent une vie parfaitement normale après la disparition de
Summer, comme si la famille ne semblait pas vouloir vraiment savoir où se
trouve sa fille. Si bien que l’inspecteur chargé de l’enquête sur la
disparition ne peut s’empêcher de ressentir un malaise face à la réaction
froide de la famille. Tout ce que celle-ci a fait n’a été que de publier une
annonce décrivant le physique et l’âge de Summer.
La
fin est tout à fait choquante; personnellement, je ne m’y attendais pas du
tout, et c’est ce qui a rendu ce livre encore plus saisissant. L’écriture
poétique, cinématographique, visuelle, le style caractérisé par une grande
précision pousse à poursuivre fébrilement la lecture du roman pour comprendre
l’intrigue.
L’auteure
semble vouloir transmettre un message très important à travers ce roman, qui
est de ne pas juger hâtivement parce que les apparences sont trompeuses.
Le
roman est un travail psychologique à la fois intelligent et intéressant. Un
style unique mais toujours simple et attachant, témoignant d’une très grande
créativité.
Beaucoup
de surprises vous attendent, soyez prêts!
« Ne
vous fiez pas aux apparences », cette phrase est un cliché, trop
fréquemment entendu, mais pour autant, cesse-t-on de juger les autres suivant
leurs apparences ? Si vous êtes ce type de personne, ce roman est pour vous.
Si
vous croyez encore à « la famille parfaite » comme les enfants
croient au père Noël, ce roman est pour vous.
Aux adolescents qui ont été
victimes de leurs parents, de l’entourage, de l’apparence, ce n’était jamais
votre faute.
Aux parents qui ne réfléchissent
pas 100 fois avant de prendre une décision, veuillez jeter un coup d’œil à ce
roman.
Rowayda ISMAIL
Département de langue
et littérature françaises
Faculté des Lettres
Université d’Alexandrie
Véronique OLMI
Bakhita
Éd. Albin Michel, 2017 (456 p.)
Bakhita
Publié aux Éditions Albin Michel, Bakhita
est un roman de Véronique Olmi, qui s’inspire d’une histoire vraie. Ce livre a
déjà reçu le Prix du Roman Fnac de 2017 ainsi que le prix Femina.
Véronique Olmi est une comédienne,
écrivaine et dramaturge française née en 1962 à Nice. Ainsi, non seulement elle
a beaucoup travaillé comme metteure en scène au théâtre mais elle est également
une auteure française assez connue. Son premier roman, Bord de mer, a
été publié en 2001. Par ailleurs, outre Bakhita, elle a publié chez
Albin Michel quatre autres romans.
Joséphine Bakhita a vécu au XIXe siècle.
Enlevée à l’âge de sept ans dans son village du Darfour, elle a connu toutes
les horreurs et les souffrances de l’esclavage. En confrontant les chagrins
qu’elle a endurés, j’ai repensé aux événements qui se sont déroulés durant la
guerre Iran-Irak. En effet, ce que Bakhita a supporté au XIXe siècle, comme
douleurs et amertumes, certaines femmes iraniennes l’ont subi, il y a peine un
demi siècle.
Bakhita, comme toutes les autres femmes
valeureuses, a pu survivre à tout cela grâce à une force intérieure dont elle a
été dotée dès son enfance.
En tant que lectrice musulmane et
iranienne, il y a toutefois des passages qui ne me conviennent pas, parce
qu’ils reproduisent des clichés sur les Musulmans.
En ce qui me concerne, il m’a semblé que
ce livre et celui de Marie Ndiaye intitulé La Diablesse et son enfant
partageaient quelques points communs. Ainsi, Bakhita a perdu sa famille et son
identité et à cause de la couleur de sa peau, elle fait peur aux autres.
Parallèlement, dans le livre de Marie Ndiaye, une mère a perdu sa fille, son
identité et à cause de son apparence, elle fait également peur aux autres et c’est
la raison pour laquelle tout le monde l’ignore.
À l’âge d’adulte, alors qu’elle amorce
une nouvelle vie dans une famille italienne, elle découvre son attirance pour
la religion chrétienne. Elle prend alors une décision capitale, qui fait que le
lecteur assiste à cette transformation d’une enfant volée en sainte patronne.
Sa foi est inébranlable : pendant la Deuxième Guerre mondiale, elle n’a
aucune inquiétude car elle est certaine d’être entre les mains du Dieu, sous sa
protection.
Narges TOUTOUNCHIAN
Université de Téhéran
L’ordre du jour
Éd. Actes Sud, 2017 (160 p.)
Antichambre de l’Anschluss
« Le Führer attirait les
autres à lui par une force magnétique puis les repoussait avec une telle
violence, qu’un abîme s’ouvrait alors, que rien ne pouvait combler. » (p. 51, 52)
Dans un contexte historique qui surgit dans nombre
d’écrits d’Éric VUILLARD, L’ordre du jour, narrant les tâches à exécuter
juste avant l’Anschluss, vient s’inscrire dans la même lignée. Dès la «
scène d’exposition » qui ouvre le récit, il semble que ce dernier est
teinté de réalisme et de véracité.
Le 20 février 1933, une fameuse réunion, tenue au
Reichstag, rassemblait « vingt-quatre bonshommes » comparés à
« vingt-quatre machines à calculer aux portes de l’enfer. » En ce
jour marquant le cours de l’Histoire allemande, « le parti nazi est
venu lever des fonds » auprès des entreprises allemandes les plus
prestigieuses. Voilà que plane alors le thème de l’argent considéré comme le
nerf de la guerre. Éric VUILLARD pénètre davantage dans les coulisses de
l’Anschluss en brossant deux rencontres capitales : le tête-à-tête qui
réunit Hitler et le chancelier autrichien Schuschnigg, scène pilote qui marque
le début de la lutte féroce d’Hitler afin de récupérer voire de s’emparer de
plusieurs territoires européens, et le dîner « surréaliste »
réunissant Chamberlain et Ribbentrop. En cours de réalisation, l’Anschluss
porte les empreintes et le sceau de l’avidité du régime hitlérien et de même l’attachement
du chancelier à son pays natal.
« On va envahir l’Autriche sans l’autorisation
de personne, et on va le faire par amour. » lit-on à la p.83.
En bon enquêteur, historien, romancier, narrateur,
Éric VUILLARD nous livre une fresque aux alentours de l’année 1933. En
cherchant à faire coïncider au plus près ce qu’il a écrit avec la réalité,
l’auteur nous présente suite à une documentation approfondie des réponses à des
questions qui hantent les passionnés d’Histoire, des questions qui visent les détails,
telles que : Comment un tel événement s’est-il passé ? Quelle
était la réaction de celui-là ? À quoi pensait-il ?
La charpente de L’ordre du jour respecte
l’ordre chronologique des faits réels. Au fil des pages, le lecteur voyage au
bout des années trop cruelles de l’Histoire européenne. Il est également porté
à la rencontre, sous un autre jour, des figures déjà connues qui ont laissé
partout leur empreinte. Une ambiance fictionnelle aurait sans doute nui à ce
récit qui est ancré dans le réel.
Le récit en question se poursuit dans un cadre
narratif de la mise en vigueur de l’Anschluss. Éric VUILLARD agit donc en
historien qui présente objectivement les faits. Par une porte dérobée,
l’écrivain s’introduit habilement afin de « se glisser dans les coulisses
de l’Histoire », pour faire découvrir à son lecteur les réalités non-dites
ainsi que les préparatifs des grands événements. L’ordre du jour manifeste à la perfection la manière dont l’auteur a mené à bien sa tâche
de ressusciter le passé.
Le style de l’auteur est simple du fait que les
phrases sont concises, les chapitres courts, de longueur presque égale, et
pourvus d’un titre, ce qui donne aux lecteurs des repères rendant la lecture
agréable. Le récit baigne dans une atmosphère allemande, comme en témoigne
l’emploi de termes allemands : « luftwaffe, führer, reich »
L’ordre du jour met l’accent sur la personnalité d’Hitler,
personnalité forte, puissante et surtout prévoyante. Une documentation qui
s’ajoute à tant d’autres pour souligner une fois de plus l’une des réussites
éclatantes du Führer.
Le goût de la métaphore est clair dans l’excipit du
récit : « et l’Histoire est là, déesse raisonnable, statue
figée au milieu de la place des Fêtes […]. » Une clôture qui se
lit comme une note plutôt pessimiste de la part de l’auteur mais qui renferme
aussi, d’une manière sous-jacente, une lueur d’espoir.
Ce récit où tout est bien cadencé tient, par la
succession des anecdotes, le lecteur impressionné en haleine. Un récit à lire
avec plaisir et qui ne tombe pas des mains!
Marwa Tarek ELZEINY
Département de langue et littérature françaises
Faculté
des Lettres
Université d’Alexandrie
Alexis RAGOU
GNEAU
L'Ordre du jour
Éd. Actes Sud, 2017 (150 p.)
Le plan
diabolique
Eric Vuillard s’intéresse dans ce roman aux quelques
mois qui précèdent le début de la Seconde Guerre mondiale, une des périodes les
plus intéressantes notre histoire contemporaine. Comment cette guerre a-t-elle
été rendue possible ? Quelles circonstances particulières ont présidé à
l’avènement de cette tragédie ? Quels ont été les premiers acteurs de ce drame
et qu’en savaient-ils ? Autant de questions auxquelles Éric Vuillard répond
dans ce passionnant récit, dessinant pour cela des personnages, des acteurs qui
se voient soudain confrontés à une situation exceptionnelle, et à des choix
pouvant avoir des conséquences terribles.
À Berlin le 20 février 1933, Göring invite les grands
patrons à venir au Reichstag pour écouter Adolf Hitler qui leur présentera son
programme en vue des élections du 5 mars. Les propositions d’Hitler trouvent
une oreille attentive chez ces messieurs « Il fallait en finir avec un régime
faible, éloigner la menace communiste, supprimer les syndicats et permettre à
chaque patron d’être un Führer dans son entreprise. » Séance tenante, il y
avait tout de même quelques 3 millions de Reichsmarks pour aider à assurer la
victoire du chancelier. Puis, une fois l’économie allemande tenue sous la
botte, il n’y avait plus qu’à s’attaquer aux puissances étrangères. Les choses
sérieuses allaient commencer.
Eric Vuillard s’amuse et nous amuse en fouinant dans
les petits travers de l’Histoire. Le rythme est soutenu, les phrases sont
longues (voire très longues) et le livre découpé en anecdotes toutes plus
intéressantes les unes que les autres. L’auteur est un maître de l’enchainement
des anecdotes. Il présente en détail les personnages, afin de pouvoir les
comprendre, et comprendre comment ils en sont venus à prendre de telles
décisions. Ensuite, ce seront les petits moments de la vie amenant à de grands
moments historiques et faisant basculer l’Europe dans la guerre qui seront
détaillés.
C’est un livre court mais qui contient beaucoup
d’informations racontées avec un rythme soutenu qui tient en haleine le
lecteur. Il est très bref et se lit en un rien de temps.
Mustafa
RAMZY
Département
de Langue et Littératures Françaises
Faculté des
Langues et de Traduction
Université
d'Al-Azhar
NIELS
Éd. Viviane
Hamy, 2017 (356 p.)
Niels
Niels est un roman-théâtre
éponyme de l’auteur, Niels Rasmussen, danois de mère française, vivant à
Copenhague où il « désobéissait », parce que « Résister, c’est d’abord désobéir
»1. Il rejoint la Résistance armée pour les beaux yeux de Sarah, jeune juive
qu’il a épousée et qui porte son bébé. En mai 1945, alors que Niels est en
train de saboter un navire allemand, la reddition ayant été annoncée, on lui
demande de tout laisser tomber. Mais au lieu de prendre le temps de savourer la
paix auprès de sa femme qui va bientôt accoucher, et de réclamer ses lauriers
en tant que héros de la Résistance, Niels décide de traverser l’Europe en
avion, comme Nils Holgerson sur son jars2, pour rejoindre Paris. Là-bas, son
ancien ami dramaturge est emprisonné et risque la peine capitale. Jean-François
Canonnier est en effet accusé d’intelligence avec l’ennemi nazi. Niels veut le
sauver, l’arracher à la mort. Mais avant tout, il veut comprendre. Et là, le
lecteur est emporté dans un Paris tout juste sorti de la guerre, à travers le
périple effectué par le personnage en quête de réponses. Niels brûle de savoir
ce qu’on reproche à son ami, mais surtout comment son ami a basculé du mauvais
côté.
À l’instar de Niels, le lecteur
se sent surpris et indigné par le fait de constater combien la guerre peut
changer les hommes, les transformer. Ces personnes que Niels a pu interroger
durant son séjour de deux jours à Paris, avant l’ouverture du procès de son ami
collabo, représentent en vérité tous les Parisiens et par extension tous les
humains, collabos ou héros de circonstance.
1. Rasmussen fait la connaissance, non sans
amertume et de l’emportement, des Parisiens de l’épuration qui ont auparavant,
pour la plupart, trahi la France, dénoncé des Juifs, servi l’ennemi, écrit des
pièces ou des poèmes vantant les prouesses des Allemands et défendant leur
cause… mais qui étaient au printemps 45 du côté de la Nation, de la Patrie, de
la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité…
Jean-François Canonnier a été
inculpé pour avoir collaboré avec les nazis et trahi son pays, mais il sera
jugé par des magistrats qui avaient, il n’y a pas longtemps, prêté serment à
Vichy. La vie du metteur en scène de la saga de Jeanne d’Arc ne tenait en
vérité qu’à un fil, serait-ce le même fil qui sépare Résistance de
Collaboration ?
Canonnier purgeait-il la peine de
tous ? En bouc émissaire, il sera condamné pour ses crimes et les leurs, en
même temps.
Alexis Ragougneau, l’auteur, a
donné à son personnage principal, une chance inouïe, celle de pouvoir se connaitre
lui-même, rien qu’en effectuant ces actes d’introspection.
Le lecteur découvre que Rasmussen
n’était pas seulement spécialiste d’explosifs mais qu’il a aussi exécuté des
collabos, là-bas dans le Nord.
Les victimes, dont il ne pouvait
oublier les noms, sont venues auprès de leur bourreau pour le culpabiliser, le
condamner.
En écrivant cette scène, qui est
son propre procès, en admettant ses fautes, en se reconnaissant coupable lui
aussi, Niels a pu se libérer de ses péchés et retrouver ainsi une paix
intérieure. Désormais, il est devenu capable de défendre son ami, et prêt à
rentrer chez sa femme pour accueillir le nouveau-né. Ayant déjà assumé
son passé, il était prêt à assumer son rôle. Pour pouvoir comprendre les actes
de l’autre, mieux vaut en effet se mettre dans sa peau.
Ainsi, dans une variante
particulière de mise en abyme, le lecteur se sent impliqué, amené à se mettre
dans la peau du personnage en se demandant : Et moi, qu’aurais-je fait ? Dans
quel camp aurais-je été? Serais-je capable, pour sauver ma peau ou faire
fortune, de dénoncer mes compatriotes ? Serais-je assez fort et courageux pour
faire face à l’ennemi ? Comment aurais-je lutté ? Par les armes ? La poigne ?
Ou peut-être la plume ? Aurais-je écrit de mon soi-disant exil, luxueux ?
Aurais-je monté des pièces dans la clandestinité en plein cœur de ma capitale
assiégée, en risquant ma vie à chaque représentation ?
Aurais-je infligé une
condamnation à une personne pour mon repentir, en vue de mon salut terrestre ?
Qu’aurais-je fait pour sauver la
peau de mon ami ? Aurais-je quitté ma famille pour braver le danger et défendre
un ami qui s’est égaré hors du bon chemin ? Serais-je capable de le défendre,
bien qu’il soit « traître » ?
Merci Ragougneau pour ce voyage
purgatif, vous dit Niels.
Merci Ragougneau pour ce beau
cadeau de rentrée, cette invitation à réfléchir à nos actions,
« Condamner ou pardonner ?
», « pardonner pour avancer ? », se demandent vos lecteurs.
Chantal
BITAR
Université
de Balamand
Monica SABOLO
Summer
Éd. J.-C. Lattès, 2017 (316 p.)
La sirène dans le remous
« Vingt-quatre
ans et treize jours que c’est arrivé. » Ni vivante ni morte, Summer
Wassener, 19 ans, cheveux blonds, peau claire, taches de rousseur sur le visage
et les bras, a disparu dans des circonstances mystérieuses lors d’un
pique-nique avec ses copines Coco, Alexia et Jill, au bord du lac Léman, à
Genève. Benjamin, son cadet, qui a 4 ans de moins qu’elle et qui est le
narrateur du récit, rapporte la scène de la disparition. Ainsi, il évoque les
souvenirs non seulement avec sa sœur mais aussi avec ses amies et notamment
Jill, pour qui il a une affection particulière. Il relate également les problèmes
et les obstacles auxquels la famille a dû faire face avant et après la
disparition. Thomas Wessener, le père de Summer, un avocat d’hommes politiques,
d’oligarques et d’évadés fiscaux. La mère de Summer éprouve des sentiments
conflictuels vers sa fille, même si on les appelait « Comme des
sœurs ». Or Benjamin est assez maussade, il est entré dans un état lugubre
malgré les efforts fournis par le Dr. Traub, son psychologue. Il a vécu une vie
pleine d’amertume et d’idées noires en imaginant de mourir à chaque jour. Il
voyait toujours sa sœur surgissant de l’eau et apparaissant devant lui comme
une sirène avec des apparences différentes, en faisant parfois des choses
étranges.
D’un
autre angle, Summer n’était pas une fille exemplaire et s’adonnait à plusieurs
vices. Elle était notamment égoïste, quittant souvent la maison sans se soucier
de sa famille, et sans réfléchir aux conséquences de ses actes.
Des
questions émergeront certainement de la lecture de ce roman, telles que : que
signifie l’histoire de l’odeur de la peinture ? Et celle de cette fille de
terminale ? Comment Benjamin a-t-il essayé de se débarrasser de ses cauchemars
? Pourquoi la mère ne souhaitait plus qu’elles soient, elle et sa fille,
considérées « Comme des sœurs » ?
Le
roman est donc social par excellence. Il soulève les questions et les problèmes
habituels de la famille. Monica Sabolo s'est intéressée aux détails de chaque
scène et à tout ce qui l'entoure. Elle a usé du style simple mais sans se
laisser contraindre par des règles grammaticales trop étroites. Dans son récit,
elle s’est déplacée de manière très subtile entre passé et présent. Ainsi, est décrite la peur de Benjamin de
l'eau du lac. Une histoire donc d'une infinie tristesse et une écriture d'une
grande richesse littéraire.
Mahmoud Mohamed ABDELSALAM
Département
de Langue et Littératures Françaises
Faculté des
Langues et de Traduction
Université
d'Al-Azhar
Monica SABOLO
Summer
Éd. Lattès, 2017, 316 p.
Où est la sœur ?
Lors
d'un pique-nique au bord du lac Lémon, Summer, dix-neuf ans, superbe fille
blonde aimée par tout le monde, disparait pendant un soir d'été, laissant son
frère sans aucune explication. Benjamin devient alors maussade, car il n'a pas
la capacité de vivre sans elle : « Nous étions ailleurs, et les mots de
réconfort que l'on nous adressait nous parvenaient déformés, comme recouverts
par le vent ». Il est très attaché au lac où il a passé son enfance avec sa
famille. Vingt-cinq ans après, ses cauchemars lui laissent des visions d’un
corps englouti sous les eaux du lac. Benjamin est suivi par une
psychothérapeute à qui il raconte comment sa famille était exemplaire pour les
autres familles, avant la disparition de Summer.
Summer
Wassner, tel est son nom, qui apparait dans les rêves de Benjamin, et réveille
les secrets d'une famille composée d’un père, avocat d’hommes politiques et
d’une mère à la beauté adolescente très proche de sa fille au bord du lac
Léman. Mais qui est le responsable de la destruction de cette petite et
agréable famille ? On connaitra la réponse à travers la lecture de ce roman en
nous plongeant dans les détails. On éprouvera une sensation de nostalgie,
Benjamin nous parlera de tout – des amies de sa sœur, des amis de son père, et
de l'ambiance familiale
Monica
Sabolo, née à Milan, a grandi en Suisse où elle a fait ses études. Elle a
travaillé dans les rédactions des magazines Voici et Elle. Elle a
obtenu le prix de Flore en 2013, pour son roman autobiographique Tout cela
n'a rien avoir avec moi, et le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres
en 2015 pour Crans-Montana. Elle a écrit cinq romans, et tous ses romans
sont édités chez Lattès.
Sameh KHEDR
Département
de Langue et Littératures Françaises
Faculté des
Langues et de Traduction
Université
d'Al-Azhar
Olivier GUEZ
La Disparition de Josef Mengele
Éd.
Grasset, 2017 (238 p.)
L'ange de la mort est toujours
en cavale
Olivier
Guez nous ramène au XXème siècle, durant la période d'après-guerre, pour nous
raconter la vie d'un homme mystérieux, recherché par plusieurs autorités
pendant les années 1940-1979 mais qui ne fut jamais retrouvé. Il s’agit d’un
des criminels les plus redoutables, le médecin nazi Josef Mengele, qui est tour
à tour Gregor, Fritz, Hochbichler, Gerhard, ou Pedro. Sa cavale a commencé en
1940 lorsqu'il échappe à son internement en se procurant de faux papiers au nom
de Fritz Ullmann, nom sous lequel il se cache durant trois ans dans une ferme
fleurie de Bavière où il s’occupe à couper les foins et trier les patates. À
Buenos Aires, il est confronté à quelques problèmes relatifs au travail. Le
divorce de J. Mengele et d’Irène, son ex-femme et la mère de son fils Rolf, a
été prononcé à Düsseldorf, le 25 Mars 1954. Son père lui propose d'épouser sa
belle-sœur et à cette fin il part pour la Suisse où il rencontre sa belle-sœur
Martha, son fils Karl-Heins, et son propre fils Rolf. Martha le présente aux
enfants comme l'oncle Fritz d'Amérique. Le 25 juillet 1958, Josef Mengele
épouse Martha à Nueva Helvecia. Arrêté en raison de sa pratique illégale de la
médecine, Mengele est obligé de quitter l’Argentine et part pour le Paraguay
avec l'aide de son ami Rudel. C’est à ce moment que le Mossad orchestre une opération
dans l’objectif de kidnapper Mengele, qui ne se sent en sécurité nulle part. Le
gouvernement ouest-allemand a mis sa tête à prix pour vingt mille Marks. En
conséquence, Mengele prend la décision de quitter le Paraguay en septembre
1960. Cette fois, il part au Brésil sous le nom de Peter Hochbichler. De Serra
Negra à São Paulo, Mengele fait diverses rencontres avant de mourir
mystérieusement le 7 février 1979 dans l'immensité de l'océan, sans avoir
affronté la justice des hommes ni ses victimes, pour ses crimes innommables.
"
La Disparition de Josef Mengele" n'est pas seulement l’histoire d'un
criminel de guerre, mais aussi l’histoire de toute la communauté nazie en
Europe, de l'Allemagne nazie et de l'Allemagne d'après-guerre, de l'Argentine,
de Perón et de sa politique d'accueil des criminels de guerre nazis, et
également d'Israël et des efforts fournis par cet État pour pourchasser les
nazis fuyards. En lisant ce roman, le lecteur découvrira un grand nombre
d'informations sur le médecin nazi et sur les raisons qui l’ont poussé à aller
à Auschwitz, ce qu’il y a fait et sur sa culpabilité. Devenu vieux, celui-ci
n’a-t-il éprouvé aucun remords ? Est-il à ce point malfaisant ?
Nous pouvons dire qu’O. Guez a réussi
habilement à joindre l'utile à l'agréable. Le lecteur aura plaisir à lire ce
roman et en même temps il gagnera beaucoup de connaissance et d'informations
historiques. Une mobilité linguistique vous déplacera aisément entre les scènes
et les lieux, tandis que les figures du style vous feront plonger dans les
circonstances de ces crimes abominables.
Mahmoud Tarek SALEM
Département
de Langue et Littératures Françaises
Faculté des
Langues et de Traduction
Université d'Al-Azhar
Olivier
GUEZ
La disparition de Josef Mengele
Éd.
Grasset, 2017 (240 p.)
Vivre est une punition
Après
la Deuxième Guerre mondiale, beaucoup de nazis, pour échapper à la justice,
vont fuir et se cacher en Amérique latine et notamment dans l’Argentine de
Perón et le Paraguay de Stroessner, Comme Josef Mengele, Adolf Eichmann, Sassen
et Rudel, ils tentent de se refaire une virginité sous de fausses identités,
font des affaires et s’aménagent une vie des plus agréables.
Olivier
Guez nous raconte, à travers son roman, la vie de « l’ange de mort »
qui envoya quatre cent mille hommes dans les chambres à gaz et les crématoriums
pendant la Deuxième Guerre mondiale, dans le camp d’Auschwitz. O. Guez a
intensément travaillé sur sa biographie et sur des sources renseignant sur la
cavale des Nazis en Amérique du sud. Il est revenu sur le site de sa ville
natale, Günzburg, puis à Buenos Aires où il a retrouvé tous les lieux où
Mengele a vécu. L’auteur construit son roman en trois parties intitulées : “ le
pacha “ pour la première, “ le rat “ pour la deuxième et “ le fantôme “ pour la
troisième.
Au
début, Josef Mengele – “ Helmut Gregor “, en Argentine – mène une vie
confortable, sans soucis. Il n’est menacé par aucun châtiment, vivant vraiment
comme un Pacha. Mais cela ne dure qu'un temps, car une fois Perón destitué et
Eichmann arrêté, Gregor doit quitter Buenos Aires pour le Brésil après avoir fait
escale au Paraguay. Dès lors, sa vie ne sera plus la même : il est poursuivi
par le Mossad et la RFA. Il vivra ensuite terré comme un rat dans une ferme
avec les Stammer. La descente aux enfers commence aussi pour lui. Sa santé
physique et mentale se détériore. Il devient de plus en plus paranoïaque.
Enfin, le fugitif meurt, mystérieusement, sur une plage du Brésil en 1979, sans
avoir comparu devant la justice pour les crimes qu’il a commis dans les camps
de la mort.
Mais
même après sa mort, rôde le fantôme de Mengele, celui-ci ayant été enterré sous
un faux nom. Plusieurs années s’écouleront avant que l’on ne soit assuré qu'il
est vraiment mort, de l’endroit où il est enterré et que l’on perce les secrets de sa véritable existence.
C’est
un roman intéressant, documenté, détaillé, le style se fondant sur des phrases
simples. O. Guez sait manifestement choisir les mots qu’il faut pour provoquer
notre enthousiasme.
Anas Zakaria ELSEADY
Département
de Langue et Littératures Françaises
Faculté des
Langues et de Traduction
Université d'Al-Azhar
Véronique OLMI
Bakhita
Éd.
Albin Michel, 2017 (456 p.)
La liberté enchaînée
Bakhita
est une petite fille soudanaise, née au Darfour en 1869 – peut-être un peu
avant ou un peu après, car ayant perdu la mémoire, elle ne sait plus. Ceux qui
lui ont demandé de raconter dès le début le récit de son existence ont calculé
son âge en fonction des guerres du Soudan. Elle est joyeuse, toujours de bonne
humeur. Sa mère dit d’elle qu'elle est "douce et bonne". Quant à son
père, il est le frère du chef de la tribu. L'après-midi, à Olgossa, son village
du Darfour, les petits jouent à l'ombre du grand baobab, arbre considéré à
l’égal d’une personne de confiance. Les hommes ramassent les pastèques,
cependant que les vieux dorment, à cette heure du jour. À la sortie du village,
les femmes battent le sorgho : c’est cette image de paradis perdu qu’elle
gardera pour se persuader que cela a bien existé. Elle a cinq ans environ mais
c’est déjà la fin de son monde, car le paradis n'est plus. En effet, Kishmet,
sa sœur aînée, à laquelle elle n'arrête pas de penser, a été enlevée. Les
ravisseurs débarquent et s’emparent des garçons pour les armées, et des filles
pour le plaisir et la domesticité. Deux ans après l'enlèvement de sa sœur, la
petite fille sort à la demande de sa mère pour s’en aller chercher de l'herbe à
la sortie du village, mais voilà qu’apparaissent deux hommes appartenant à un
village voisin. L'un d'eux sort un poignard et le plaque contre sa gorge, puis
il couvre sa bouche et menace : "si tu cries, je te tue".
Et
c’est ainsi qu’elle fut enlevée, vivant ensuite une vie malheureuse, endurant
des sévices, tantôt fouettée, tantôt frappée avec les mains ou les pieds, si
bien que son dos se couvre de cicatrices et que ses pieds se déforment. De
plus, Bakhita ne sait pas comment elle s'appelle en réalité, puisque ce
nom qu’elle porte n’est que celui que lui ont donné ses ravisseurs. Mais elle a
beaucoup entendu, la désignant, le nom de Djamila (signifiant belle). Elle est
belle, c’est vrai, mais à quoi sert la beauté d'une petite fille ? Ironie
des appellations, Bakhita signifie chanceuse, mais elle n’est au fond qu'une
malchanceuse. Les esclaves, eunuques ou femmes, les domestiques, les
affranchis, les maîtresses, tout cela est un monde clos, une prison sans
barreaux. Bakhita est achetée pour la cinquième fois par le consul Italien à
Khartoum et elle reste à son service deux ans avant de quitter le pays. Le
consul, Calista Legani, a été le dernier Européen à traverser le désert avant
la chute de Khartoum, le 26 janvier 1885. Ils sont quatre à partir : lui,
Bakhita, Indir "le petit esclave" et Augusto Michieli, un ami du
consul, qui connaît bien le Soudan. Le consul, que l'auteure décrit comme
« un ange sur la terre », achète les esclaves pour les affranchir,
mais nous saurons ensuite qu’il a acheté Indir, d'à peine quatre ans, pour
l'offrir en cadeau à son ami ! De surcroît, il a menti, affirmant à Bakhita que
l'esclavage est fini mais lui annonçant un peu plus tard : « Tu vas
suivre mes amis chez eux, à Zianigo, tu es à eux, maintenant, tu comprends ? Tu
va servir la signora Michieli » ! À son arrivée chez la signora, tout le
monde a peur d'elle : on pense qu'elle est le diable incarné. Bakhita sera
au service de sa patronne Maria et s'occupera de Mimmina, sa petite maîtresse.
Stefano, qui administre les biens des Michieli durant les longues absences du
maître, est la première personne qu’elle aime comme son père, celui qui l'a
emmené à l'institut de Venise où elle a pu, pour la première fois de sa vie,
dire non ! Où elle a pu, devant tout le
monde, dire "J'aime la signora, j'aime Mimmina, j'aime Dieu, je choisis
Dieu", où enfin elle brise ses chaînes, entamant sa conquête de la liberté
ainsi qu’un parcours vers la sainteté. Le 1er octobre 2000,
Jean-Paul II la déclare sainte. Giuseppina Bakhita devient ainsi la première
sainte soudanaise.
Mostafa Abd al-Radi HUSSEIN
Département
de Langue et Littératures Françaises
Faculté des
Langues et de Traduction
Université d'Al-Azhar
Bakhita
Éd. Albin Michel, 2017 (456 p.)
Bakhita : De la
souffrance à la renaissance
« Il n’y a que Dieu qui puisse donner l’espérance
aux hommes victimes des formes d’esclavage anciennes ou nouvelles » :
c’est par ces mots que le pape Jean-Paul II, déclare Madre Giuseppina Bakhita,
sainte de l’Église catholique, le 1er octobre 2000.
L’histoire de cette première sainte soudanaise tisse le
canevas de l’intrigue du nouveau roman éponyme de Véronique Olmi : Bakhita, nom qui lui est attribué par
l’un de ses maîtres, puisqu’« elle ne sait pas comment elle
s’appelle ».
Ce livre, publié aux Éditions Albin Michel, n’est pas une
biographie, mais une histoire romancée de la vie de cette religieuse. Et c’est
ce qu’affirme V. Olmi : « Je voulais écrire un roman, pas une
biographie, alors j’ai travaillé davantage le langage plutôt que les archives,
j’ai essayé d’être au plus près d’elle »
Le roman est divisé en deux grandes parties. Dans la
première partie intitulée « De l’esclavage à la liberté », l’auteure
nous plonge dans ce Soudan de 1865, où l’on vend les hommes comme des esclaves,
où l’on sépare les familles et où l’on vole la joie de vivre. À l’âge de 7 ans,
cette petite fille est enlevée de son village du Darfour par des négriers
cupides et inhumains. L’écriture de Véronique Olmi ne nous épargne aucune
horreur : le monde de l’esclavage est brossé avec les moindres détails.
Rien n’est omis de ces horreurs insoutenables et ces interminables vexations au
quotidien d’une population harassée et exsangue. Vendue par les uns, achetée
par les autres, battue, mal nourrie, assoiffée, obligée de marcher enchaînée
sur des kilomètres, contrainte d’assister à des scènes insupportables de
torture et de meurtre, Bakhita est traitée pire qu’un criminel, comme tous les
esclaves expédiés en caravanes. Avec un accent irrémédiablement tragique, la
romancière nous peint l’image d’un pays qui bascule dans le malheur et la
misère, où la vie humaine n’a aucune valeur. Malgré toutes ces peines, Bakhita
ne se résigne pas, elle s’accroche à la moindre étincelle qui la retient à la
vie.
Dans la seconde partie intitulée « De la liberté à
la sainteté », l’auteur évoque un nouveau chapitre de la vie de Bakhita. À
l’âge de 14 ans, elle est vendue au consul italien de Khartoum, qui l’emmène
avec lui en Italie. La femme de ce dernier la place chez des religieuses,
où elle recouvre sa liberté, et découvre la foi chrétienne. Baptisée, elle
demande de devenir une sœur. Dans cette partie, le style de la romancière
devient plus tendre, plus doux, malgré l’évocation de Mussolini et du fascisme
qui s’abat sur l’Italie. Torturée et soumise à des souffrances odieuses,
Bakhita ne cèdera jamais au désespoir, elle est dans les mains de Dieu :
« Elle a la force maintenant pour aimer les autres. Maintenant que sa vie
est dans des mains plus hautes ». Elle arrive à pardonner et applique la
célèbre consigne du Christ « Aimez-vous les uns les autres ». Dans le
monastère, elle voue sa vie aux enfants pauvres. Aussi sa mission devient-elle
la défense des opprimés et des offensés, elle qui a été un jour un enfant
victime, accablé par toutes formes d’injustice. « Elle priait pour que les
petites n’aient pas peur en bas dans les caves, ne deviennent ni fragiles, ni
amères devant leur vie qui venait. Elle suppliait : "Seigneur
donne-leur la force". »
Une grande brutalité accompagnée d’une sérénité reflétant
la simplicité de cœur de Bakhita, cohabitent au fil des pages. La romancière
nous livre une conviction salvatrice. Dans ce récit, se dégagent une certaine
leçon de vie, un souffle tonique, une sagesse assurée. Après le chemin de
croix, Bakhita passe à la résurrection. Car cette souffrance crue, voire
atroce, se transforme en renaissance grâce à une insoumission et à une résistance
intérieure qui côtoie le mystère. Ce brin d’espoir qui jaillit entre les pages
fait de ce roman une véritable ode à la vie.
Christelle
RABBAT
Département de Langue et Littérature Françaises
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines – Section 4
Université
Libanaise
ALICE
ZENITER
L’art de
perdre
Éd. Flammarion, 2017 (506 p.)
Une identité neutre
« Pour qu’un peuple trouve son identité, il faut
qu’il fasse attention à sa langue et à sa liberté », ces mots du cinéaste
grec Theo Angelopoulos tracent le cadre du nouveau roman d’Alice Zeniter L’art de perdre, dans lequel baignent
des personnages aux identités fragmentées et morcelées.
Dans son cinquième roman, Alice Zeniter peint la
résurrection de tout un passé, celui d’une famille dont l’histoire était tombée
depuis longtemps dans les oubliettes.
Une narratrice inconnue dresse le parcours entrepris par
Naïma, une jeune Française d’origine algérienne, qui essaye de combler les
vides du puzzle de son histoire. Le roman est divisé en trois grandes
parties ; chacune traduit l’âme et l’esprit d’une génération. La première
présente le grand-père Ali, un montagnard kabyle dont l’Histoire a fait un
« harki », en d’autres termes « un traître » puisqu’il a
choisi d’être du côté des Français pendant la guerre d’Indépendance. En fait,
Ali incarne la vignette vide de l’histoire, la vignette du silence qui n’a pu être
brisé par les diverses tentatives de son fils Hamid. À son tour, Hamid dont
l’enfance a été « mordue » par cette guerre, dresse, dans la deuxième
partie du roman, un rempart devant la quête de sa fille Naïma. Traumatisé par
son enfance dévastée à cause de la situation de son pays, Hamid dénigre
celui-ci pour procéder à sa « réinvention » et à sa renaissance en
France. Il éduque ses enfants « à la française », tout en ayant honte
de son passé, de ses origines ainsi que de sa langue qui fut d’ailleurs plus ou
moins oubliée.
Ce mutisme qui traverse le roman n’est rompu que dans la
troisième partie où Naïma décide de rentrer en Algérie afin de découvrir son
pays tant pleuré par Yema, sa grand-mère. Cependant, il faut noter que Naïma
est affectée par ce conflit de l’identité même si elle est typiquement
française et ne parle que le français. Comme l’évoque la narratrice, Naïma n’a
jamais couché avec un Maghrébin : « […] cela irait à l’encontre de la
logique d’intégration ; c’est une logique d’ascension ». On pourra
alors dire que dans son autofiction, Alice Zeniter, incarnée par le personnage
de Naïma, essaye en quelque sorte de « chanter » l’histoire des
harkis qui n’a jamais été « chantée », comme elle l’a déjà signalé.
Elle essaye ainsi de donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais prise.
Néanmoins, le poids du roman réside dans le fait qu’il
relève également de l’actualité : n’assiste-t-on pas de nos jours à des
guerres semblables? Ne voit-on pas des problèmes d’identité découlant de ces
guerres ?
En fait, ce roman prédit l’avenir de ceux qui subissent
aujourd’hui des traumatismes consécutifs à la guerre. Cette dernière laissera
dans leur for intérieur son ombre massive, qui va envahir leur âme et leur
esprit. Ne rencontrera-t-on pas un certain Ali qui se mure dans le silence afin
de ne pas se rappeler « sa traîtrise », une certaine Yema qui ne se
retrouve pas dans la peau d’un nouveau pays et d’un nouveau peuple, un certain
Hamid qui essaie de faire table rase de son passé et de son pays, dont l’image
n’est plus dorénavant qu’un tableau enflammé où l’on ne sent que l’odeur de la
mort et du sang, une certaine Naïma qui vit à la fois l’envie et la peur de
découvrir son pays ?
Alice Zeniter réussit ainsi à mettre en lumière une
certaine société qui a tendance à sombrer dans les ténèbres, tout en pénétrant
aussi l’avenir des sociétés qui se noient, de nos jours, dans les guerres
intestines et frontalières, des sociétés qui « [confondent] l’intégration
avec la politique de la terre brûlée », des sociétés qui « veulent
une vie entière, pas une survie ».
En outre, grâce à son récit, Alice Zeniter parvient à
s’identifier. Dans le fait de raconter l’histoire de cette famille algérienne
elle trouve le moyen de redéfinir son être morcelé. C’est dans ce sens que Paul
Ricœur parle de « l’identité narrative », celle qui permet de
reconstruire et de se ressaisir d’une âme amoindrie. Brisé, le moi d’A. Zeniter
trouve en quelque sorte son unité grâce à la littérature qui offre toujours son
caractère salvateur.
NOUR EL KADRI
Département de Langue et Littérature Françaises
Faculté des
Lettres et des Sciences Humaines – Section 4
Université
Libanaise
Eric
VUILLARD
L’ordre
du jour
Éd.
Actes Sud, 2017 (150 p.)
Le récit s’ouvre sur vingt-quatre
personnes, noyées dans une ambiance énigmatique, suscitant la curiosité chez le
lecteur.
Toutes enfilaient costume commun,
marchant d’un pas décidé pour se diriger vers la réunion attendue qui
bouleverserait l’histoire de fond en comble. C’était le 24 février 1933. Ces
vingt-quatre hommes sont réunis avec le Président de l’Allemagne, Hermann
Goering, et sont introduits au chancelier Adolf Hitler. Ce dernier, voulant à
tout prix gagner les élections de mars pour éloigner les communistes et les
éliminer, exige un financement rapide du parti national-socialiste (le
nazisme), lequel parti est en réalité fondé sur ces vingt-quatre personnes,
nommées par le narrateur « clergé industriel » parce qu’ils
appartiennent tous au domaine de l’industrie et du commerce, et parce qu’ils
ont de mauvaises intentions, opposées à celles des moines de bon cœur. Cette
ironie marque clairement la position du narrateur en ce qui concerne ce qui
s’est passé derrière les coulisses de la grande Histoire.
Les vingt-quatre personnages
étaient, eux-mêmes, héros de leurs propres histoires criminelles.
Antisémites, ils organisaient des camps de concentration pour les travaux
forcés, obligeant les Juifs à brouter l’herbe, les insultant, les traitant
comme des bêtes de somme. Après l’annexion de l’Autriche, vient l’accord de
Munich signé par quatre États : l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et
l’Italie, avec l’espoir d’y joindre aussi la Tchécoslovaquie afin qu’elle tombe
elle-même sous la tutelle allemande et perde son indépendance. Mais comme pour
toute histoire, il y a une fin, en l’occurrence celle de ces vingt-quatre
personnes qui se retrouvent au bout du compte à Nuremberg, accusées de crimes
offensifs contre la paix et l’humanité, et condamnées.
Loin de la représentation
traditionnelle de l’Histoire, Eric Vuillard emprunte un chemin où prédominent
le style ironique et l’emploi de la première personne pour impliquer le lecteur
dans l’Histoire, celle-ci n’étant pas loin de la réalité actuelle. Il décrit
dans les moindres détails les lieux où se tissent les actions de l’Histoire,
les mimiques et les gestuelles des hommes d’État, comme si nous étions présents
à l’époque et assistions au déroulement de ces événements. Il s’appuie aussi
sur l’ironie comme une arme pour nous éclairer sur les défauts des politiciens
dont les vices perdurent jusqu’à nos jours : corruption, signature de
décrets au profit de leurs propres intérêts et agacement de la minorité.
« Clergé industriel » fut en effet la nomination assignée aux
vingt-quatre capitaines d’industrie afin de révéler la déplorable voie
empruntée par ces derniers, voie semée de violations de droits, de crimes
contre l’humanité, et de trouble de la paix, tout en manipulant les hommes.
L’instrumentalisation des hommes a eu lieu, en premier, par le pouvoir de
l’argent qui est la cause indirecte de la construction de l’un des plus
dangereux partis, le parti nazi. E. Vuillard ne nous communique pas une simple
histoire, mais aussi des sentiments désenchantés pour réveiller le peuple
endormi de 1933, et qui l’est toujours.
« Toutes les misères ont pour
chef-lieu l’âme humaine » : voilà l’un des commentaires glissé entre
les lignes du roman pour nous rappeler que l’homme est la source des
souffrances et des malheurs. Ce récit apporte enthousiasme et révolte, sa
cohérence et sa densité offrent un plaisir de lire qui laisse toutefois au
lecteur toute latitude de réfléchir aux analogies que ces événements peuvent
entretenir avec notre actualité politique. On peut dire que c’est une nouvelle
version de l’Histoire, mais plus vive et animée.
Rebecca
SAKHAT
Département de Langue et Littérature
Françaises
Faculté des
Lettres et des Sciences Humaines – Section 4
Université
Libanaise
Olivier GUEZ
La
disparition de Josef Mengele
Éd. Grasset, 2017 (231 p.)
Quand on prononce
« Mengele », ce patronyme ne sonne pas allemand comme Hambourg ou
Bauer, surtout lorsque l’on ne sait pas qui se cache derrière ce nom. « Mengele » ressemblerait plutôt à
un nom de tribu africaine, ou à celui d’un sinistre dictateur tapi au fin fond
du continent africain comme Bozizé (Centrafrique) ou Gnassingbé Eyadéma
(Togo). Mais le Docteur Josef Mengele est bel et bien un Allemand, qui a
même « un fort accent bavarois ». Josef Mengele, surnommé le
« médecin d’Auschwitz », a réellement existé à l’époque du
« Führer », sous le IIIe Reich, pendant la Seconde Guerre
mondiale.
Dans ce « roman-vrai »
d’Olivier Guez, l’action se situe entre la fin de la guerre en 1945 et les
années 1990. C’est le récit de la chasse à l’homme initiée par les Juifs pour
arrêter et juger Josef Mengele pour crimes de guerre. C’est aussi l’histoire de
son évasion et de sa cavale qui ressemblerait aux aventures d’Indiana Jones.
La disparition de Josef
Mengele rappelle toute une génération : celle de
l’après-guerre, du déclin d’Hitler, du fascisme de Mussolini ou de celui de
Perón. On part de l’Allemagne pour finir au Brésil, en passant par l’Argentine
et le Paraguay. Olivier Guez nous fait découvrir la force des réseaux nazis
présents sur toute la surface du globe, même après le déclin d’Hitler. On voit
comment les rapprochements des États sortis vainqueurs de la guerre ont mené au
procès de Nuremberg.
Olivier Guez signe, avec ce livre,
un véritable tableau du pur Nazi mais il
dépeint, en même temps, l’homme corrompu qui change de camp et de
conviction comme bon lui semble lorsqu’il est menacé. On voit comment les plus
intimes collaborateurs d’Hitler ont dénié leur chef devant les caméras des
journalistes pour se disculper.
L’œuvre d’Olivier Guez laisse le
lecteur forger lui-même son jugement et sa pensée car dans La disparition de
Josef Mengele, le narrateur externe à l’histoire reste objectif mais
particulièrement précis. Cela s’explique grâce à l’importante documentation de
l’auteur sur l’époque et sur les évènements historiques de 1945. Le lecteur
voyage dans le temps pour tout remettre en question, jusqu’à sa propre
condition humaine, car l’impact de l’œuvre sur le lecteur est considérable.
Enfin, la mort évoquée sous toutes
ses formes, dans ce roman, lui donne un goût amer mais, en même temps, elle
apaise les douleurs et les consciences. À la fin, Mengele meurt en « vieux
papa », sa relation avec son père n’est pas des plus saines. Le nazisme
apparaît ici comme le combat ultime des idéologies humaines rongeant toutes
sortes de despotes farfelus.
Ce roman pousse le lecteur à
méditer sur le passé des crimes contre l’humanité, crimes qui continuent à être
perpétrés jusqu’à nos jours et l’invite en conséquence à mieux repenser
l’avenir…
Rabih DABAJI
Département de Langue et Littérature Françaises
Faculté des Lettres et
des Sciences Humaines – Section 4
Université Libanaise
Éric VUILLARD
L'ordre du jour
Éd. Actes Sud, 2017 (150 p.)
Un événement remarquable de l’Histoire :
La montée au pouvoir des nazis.
Ne faut-il pas enfin apprendre de
l’Histoire ? N’est-il pas temps de se libérer de cette avidité qui est la
principale raison de toutes les guerres d’aujourd’hui tout comme de celles
d’autrefois ?
C’est avec un
style subtil et précis qu’Éric Vuillard focalise sur les drames qui se
préparaient dans les coulisses et qui ont abouti à la Deuxième Guerre mondiale.
Celle-ci eut pour conséquence l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie et
le soutien de celle-ci de la part de noms célèbres de l’industrie allemande. Le
plus étrange, c’est que les principaux responsables des guerres d’autrefois
n’ont pas disparu, comme l’atteste cet extrait du roman : « Ainsi les
24 hommes ne s’appellent ni Schnitzer, ni Rosterg…, ils s’appellent BASF,
Bayer, Agfa, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz, Telefunken. Sous ces noms nous
les connaissons. Ils sont là parmi nous. Ils sont nos voitures, nos machines à
laver, nos produits d’entretien, l’assurance de notre maison, la pile de notre
montre ».
Ces organismes
ont ainsi soutenu et financé le début du nazisme. Eric Vuillard n’a pas pour
objectif de nous replonger dans certains épisodes d’un passé révolu, mais
plutôt de s’attarder, de façon comique, sur certaines anecdotes, scènes
ridicules, sur les accords scandaleux et secrets de l’Histoire qui offrent une
vision différente des événements qu’on pensait connaitre. Ils nous contraignent
ainsi à nous interroger davantage sur les raisons des événements déclencheurs
d’un conflit aussi important et meurtrier, que personne n’a pu prévoir.
L’auteur fait défiler sous nos yeux la scène de la fameuse réunion du 20
février, durant laquelle les détenteurs d’entreprises parmi les plus riches
d’Allemagne offrent de l’argent au parti nazi, participant ainsi subrepticement
aux préparatifs d’un plan prévu de longue date et dont le lancement aura lieu
en 1938.
L’ordre du
Jour est assurément un roman qui sera particulièrement apprécié par les
amateurs de récits historiques.
Darine KLAIMI
Département de langue et littérature françaises
Université de Balamand
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