Véronique OLMI
Bakhita
Éd. Albin Michel, 2017 (456 p.)
Bakhita
Une rare puissance
d’évocation, un style saisissant, une grande subtilité et une intensité
psychologique singulière caractérisent ce roman éponyme bouleversant de
« Bakhita », où Véronique Olmi restitue, avec une remarquable
habileté romanesque, le destin, les combats incroyables, la force et la
grandeur d’âme de son héroïne, cette femme exceptionnelle considérée comme
l’icône de la lutte, de l’amour et de la foi.
En effet, l’histoire est célèbre :
c’est celle de Joséphine Bakhita, née à Olgossa au Soudan et enlevée à l’âge de
sept ans près de son village. De maître en maître et de souffrance en
souffrance, séquestrée, torturée, revendue tour à tour au plus offrant, elle se
trouve confrontée, sans cesse, à la barbarie et à la sauvagerie déchaînée des
hommes. Sa vie bascule pourtant lorsqu’elle fait la connaissance de Calisto
Legnani, consul italien à Khartoum, qui la rachète et l’emmène avec lui en
Europe. Affranchie à la suite d’un procès retentissant à Venise, elle entre
dans les ordres et traverse le tumulte des deux Guerres mondiales et du
fascisme. Convertie au catholicisme, elle embrasse une carrière religieuse et
voue sa vie au service des enfants et des personnes démunies.
Une histoire tristement vraie,
voilà ce que Véronique Olmi nous conte
dans ce livre. De sa plume magnifique, elle retrace avec précision les
douloureux événements qui ont marqué la vie de son héroïne, toutes les
humiliations qu’a pu subir cette femme solide, les atrocités et la brutalité
humaine endurées… rien n’est épargné au lecteur qui se sent impliqué dans le
parcours de cet être extraordinaire dont la noblesse d’âme force sans
hésitation le respect et l’admiration.
En effet, Bakhita incarne
cette résistance passive, qui passe par la volonté de ne pas céder, de
survivre. Elle est dotée d’un surmoi infaillible et d’un courage transcendant
voire surhumain qui la poussent, malgré les affres et l’injustice de
l’esclavage, à se consacrer aux autres et à mener une vie de piété et de
dévotion, sans qu’aucun désir de vengeance ne vienne effleurer son âme pure,
illustrant par là la figure de la lutte pacifique. L’émotion que suscite cette
vie de femme réside donc dans ce qu’elle nous apprend à travers son aptitude à
résister au mal par le bien.
Cependant, en lisant
profondément le roman de « Bakhita », on remarquera que Véronique
Olmi excelle dans l’art de nous émouvoir et de nous toucher, non seulement par
l’histoire qu’elle raconte, mais aussi par la façon dont elle la raconte,
puisqu’elle parvient à mettre des mots sur ce qui ne peut être parfois ni écrit
ni décrit.
Ainsi, d’une rare intensité,
poétique et sublime, son style s’avère, dans toutes les parties de l’œuvre,
époustouflant et incroyablement travaillé. Le lecteur se trouve bercé par ce
lyrisme qui sait se faire léger et poétique à la fois, et emporté par une
écriture riche en images qui le pénètre et anime sa sensibilité.
Enfin, « Bakhita »
promet un moment de lecture particulièrement fort et inoubliable. C’est, par excellence,
un roman puissant sur une héroïne formidable malgré elle, et un témoignage
poignant sur les abominations des deux siècles derniers. C’est en cela qu’il
est d’ailleurs un coup de cœur… C’est en cela qu’il est le joyau de cette
rentrée littéraire : une véritable réussite !
Guilda GHAJAR
Université de Balamand
Alice
ZENITER
L’art de perdre
Éd. Flammarion,
2017 (506 p.)
Passer maître dans l’art de perdre*
« Avec ses amis, Naïma a élaboré une théorie selon laquelle les gens peuvent
être regroupés en deux tribus, celle de la Tristesse et celle de la Colère – et
qu’on ne leur dise pas qu’il existe des gens heureux, ça ne compte pas :
c’est quand le bonheur s’arrête qu’ils sont reconnaissables, qu’on voit leur
vérité. » Naïma fait partie de
la troisième
génération d’une famille de descendance algérienne dont le bonheur s’arrête
quand ils sont obligés de quitter l’Algérie et d’immigrer en France à l’été 62
suite à l’Indépendance de l’Algérie. Ali, son grand-père, est contraint à
quitter l’Algérie pour sauver sa peau et celle de sa famille, car il est accusé
d’être contre l’indépendance et d’assister les français pendant la guerre
d'Algérie. C’est ainsi qu’il est traité de harki – une appellation
qui désignera pour toujours son statut et celui de leur descendance. Dans la
première partie du roman, L’Algérie de Papa, on suit l’histoire d’Ali,
ancien soldat de l’armée française lors de la Deuxième Guerre mondiale, pendant
les années 1950, durant lesquelles il vit une vie de propriétaire terrien et de
père de famille kabyle assez respectueux. Dans la deuxième partie, La France
froide, il se réfugie avec sa femme et ses enfants dans une France peu
accueillante, où on les installe dans un camp de réfugiés. Hamid, son
fils aîné, quitte sa famille après quelques années
pour entamer une autre vie dans sa nouvelle patrie et se marie avec la
Française Clarisse. La troisième partie, Paris est une fête, suit
l’histoire de Naïma, partie à la recherche
de son identité perdue, une identité
dont elle a hérité, mais qu’elle connaît si peu.
De la même descendance franco-algérienne que son héroïne, Alice
Zeniter, 31 ans, nous rapporte avec un style raffiné plein de détails factuels
historiques, sociologiques et mythologiques cette quête d’identité. Il ne fait
pas de doute qu’elle a fait de nombreuses recherches afin d’écrire ce roman qui
investit les deux côtés de la Méditerranée, à travers 60 ans. Certes, elle
emprunte des détails à sa propre vie, mais son champ de vision est si vaste que
chaque membre
d’une famille de ces immigrés pourrait s’y identifier.
C’est une histoire assez connue pour beaucoup d’Iraniens
qui ont fui leur pays après la révolution de 1979. Il existait bien sûr des
royalistes qui pensaient que ces événements étaient une feinte du Shah et
croyaient qu’il serait bientôt de retour : « C’est une feinte de
De Gaule, dit Ali à ses frères. Ils ne lâcheront jamais l’Algérie : […]
militairement ils dominent tout. Le FLN prend ses rêves pour des
réalités. » Il y avait leurs enfants qui avaient passé leur enfance et/ou
leur adolescence en Iran et n’avait gardé qu’une belle image du pays,
entremêlée aux souvenirs nostalgiques et aux échos des contes de fées. Mais ils
passeront leur vie à se chercher une nouvelle identité dans un pays qui n’est
pas leur pays natal. « La guerre leur a fait tomber une nuit sur le
regard qui a sorti leur visage de l’enfance d’un coup. Hamid rêve d’y retourner
– pour lui, le territoire perdu, c’est l’insouciance plutôt que
l’Algérie. » Finalement, la troisième génération, étant née dans le
nouveau pays et n’ayant jamais vu le pays d’où elle est originaire, se trouve
prise entre deux feux : soit elle concède au fait qu’elle est différente
du reste de sa famille, soit elle est contrainte à chercher son identité dans
le passé. C’est le cas de Naïma :
« Pourtant, si l’on croit Naïma, l’Algérie a toujours été là, quelque
part. C’était une somme de composantes : son prénom, sa peau brune, ses
cheveux noirs, les dimanches chez Yema. Ça, c’est une Algérie qu’elle n’a
jamais pu oublier puisqu’elle la portait en elle et sur son visage. »
Dans ce roman, les personnages sont constamment
confrontés à la barrière de la langue. Dépaysés, ils cherchent à s’exprimer
dans un idiome qu’ils ne maîtrisent pas : « Ali et Yema regardent
l’arabe devenir langue étrangère pour leurs enfants, […] le français qui vient
truffer la surface des paroles. Ils voient l’écart qui se creuse et ils ne
disent rien, à part – peut-être – de temps en temps, parce qu’il faut dire
quelque chose : – C’est bien, mon fils. » Pourtant, A. Zeniter
réussit à nous communiquer par une langue universelle ce que c’est que d’être
déraciné et comment le sentiment d’être à la recherche de l’identité de soi
change la perception des choses. En somme, un beau roman, à lire sans aucun
doute.
*inspiré par le poème
d’Elizabeth Bishop d’où est tiré le titre du livre
Parham ALEDAVOOD
Université de Téhéran
François-Henri DÉSÉRABLE
Un certain M. Piekielny
Éditions
Gallimard, 2017 (259 p.)
Un personnage de l'imagination
Un certain M. Piekielny est un
roman de François-Henri Désérable combinant plusieurs genres : nouvelle,
récit biographique, correspondance. Il est paru en 2017 aux Éditions Gallimard.
L'histoire met en scène trois personnages principaux : M. Désérable, l’auteur,
dans le rôle de l'enquêteur et M. Romain Gary, qui est à la source de cette
histoire. L'histoire elle-même est inspirée du célèbre roman La Promesse de
l'aube, œuvre autobiographique primée autrefois au Goncourt. Enfin, un
troisième personnage fictif complète le trio, le fameux M. Piekielny.
L'histoire se passe à Vilnius, ville de Lituanie où
vivait une importante colonie juive. Roman Kacew, qui n'est qu'autre que Romain
Gary, promet alors qu’il est jeune à son voisin, un certain M. Piekielny, que
quand il sera grand, connu et célèbre, il parlera de lui aux grands de ce
monde. Et c'est ce qu'il fera une fois devenu adulte, diplomate, et écrivain
deux fois Prix Goncourt, avec notamment La Promesse de l'aube où il
parle de Piekielny.
François-Henri Désérable quant à lui, découvre cette
histoire en lisant le roman de Romain Gary dans un train. Son roman, Un
certain M. Piekielny, rebondit sur La Promesse de l'aube. Intrigué
par ce M. Piekielny, il décide de se lancer dans une enquête à sa recherche.
Ce roman présente un intérêt littéraire évident, car
il décrit de manière romancée et sur le ton de la narration la vie des Juifs de
Vilnius. Une vie misérable que cet auteur réussit pourtant à nous rendre plus
douce par son style d'écriture léger et romancé.
Il en arrive à la conclusion que ce M. Piekielny, très
représentatif de la communauté juive de Vilnius, est en réalité un personnage
fictif né dans l'imagination du talentueux Romain Gary.
Samaher Zuhair AL-AROKI
Département de Français
Université Al-Aqsa
Alexis RAGOUGNEAU
Niels
Éd.
Viviane Hamy, 2017 (356 p.)
Niels
La
Deuxième Guerre mondiale a conduit le Danemark à participer à la lutte armée
contre l’occupant nazi. Alors que la guerre est finie en 1945, Niels recoit un
courrier avec une page du journal Le Parisien libéré dans laquelle il
lit une information relative à un homme de théâtre qui s’appelle Jean- François
Cannonier. Cet ami est inculpé d’intelligence avec l’ennemi et passible du
poteau d’exécution. Il décide par la suite d’enquêter à Paris pour comprendre
comment son ami intime a pu être condamné pour des pièces de théâtre
complaisantes.
En
France, Jean-François a usé, en tant qu’homme de théâtre, de certains mots pour
traduire sa position et tenter de survivre.
C’est
un roman très intéressant, où sont emboîtées des scènes de théâtre. Au départ,
cette structure est déconcertante mais le mélange est très bien effectué et
apporte du rythme au récit. En tant que lectrice, j’ai cependant eu plus de mal
avec l’Acte 3, avant de voir mon intérêt se renouveler dans la dernière partie.
Il faut reconnaître que le sujet du roman est bien traité : la différence
entre Niels, le résistant, et son ami « collabo » est réaliste et
pose la question de savoir jusqu’où peut aller l’amitié…
J’ai
beaucoup aimé le début du roman ; on y découvre un traitement original des
thèmes de l’honneur, de l’amitié, de la résistance. Le sens de la libération et
de la création artistique y est questionné. De plus, de nombreux aspects
sont traités, comme l’aspect politique et militaire, mais aussi la composante
littéraire de l’art, le versant historique et même la portée romantique des
événements.
Mais
ces événement sont aussi pourvus d’une dimension tragi-comique. Le lecteur peut
lire plusieurs dialogues, avec parfois un certain statisme. Il existe un petit
passage émouvant : c’est lorsque Niels veut partir à Paris et laisser
Sarah seule. En somme on y lit le talent de cet auteur de théâtre qu’est Alexis
Ragougneau, et cette composante dramaturgique fait que le texte nous entraîne à
travers des événements attachants.
Hadeel Ali QUFFA
Département de Français
Université Al-Aqsa
Alice ZENITER
L’art de perdre
Éd. Flammarion, 2017 (506 p.)
L’art de faire
ressurgir un pays du silence
L’Art de perdre, c’est l’histoire d’une famille algérienne rapatriée en France. À travers
les trois parties du roman, « L’Algérie de Papa », « La France
froide » et « Paris est une fête », l’auteure fait voyager ses
lecteurs de l'Algérie coloniale à la France d'aujourd'hui.
La trame des événements déroule
pour nous le parcours de trois générations d’une famille kabyle, et ce à
travers trois personnages : Ali, Hamid et Naïma. En raison de son
engagement dans les rangs de l'armée française pendant la Seconde Guerre
mondiale, Ali doit quitter l’Algérie avec sa famille. L’histoire du départ de
cette famille sert de prétexte à l’auteure pour raconter l'histoire des harkis
et de leurs familles. Ils passent ainsi une vie tumultueuse et triste dans ces
camps de harkis. À travers cette représentation, l’auteur informe ses lecteurs
sur une tranche de l’Histoire et les non-dits de la guerre d'Algérie. Elle nous
fait partager la vie et les souffrances de ces immigrés. En employant le
présent, elle rend actuelle et plus concrète sa représentation. De fait, sa
plume peut être considérée comme une arme pour lutter contre les tares de la
société : « Ceux qui veulent assez fort le pouvoir pour l'obtenir, ce
sont ceux qui ont des egos monstrueux, des ambitions démesurées, ce sont tous
des tyrans en puissance. » À travers son écriture, elle peut dès lors
inciter ses lecteurs à une prise de conscience des tares du monde et les pousse
à s’engager dans la lutte contre la violence et l’injustice sociale.
En effet, par le détour de cette
fiction, A. Zeniter a essayé de sonder les rapports humains et la question de
l’identité. C’est avec un style tantôt musical tantôt brutal qu’elle aborde,
dans son dernier roman, les thèmes de la guerre, la colonisation, la question
de l’engagement, l’immigration forcée, la filiation, l’héritage, la crise
identitaire et la quête des racines.
Elle montre ainsi comment Ali,
qui est le représentant des Harkis, porte avec lui, toute sa vie, ce statut de
Harki. Ali et sa famille deviennent de fait prisonniers de leur passé. Ils
doivent cacher ce passé et rompent ainsi avec leur pays et leur langue
maternelle. Ali et sa femme, Yema, constatent que l'arabe est devenu pour leurs
enfants une langue étrangère. Il se creuse ainsi un écart considérable entre ce
qu’ils étaient et ce qu’ils sont dans ce pays étranger, qui est devenu comme le
pays d’origine de leurs enfants. C’est ainsi que l’Algérie n’est, pour Naïma,
leur petite fille, qu’« une toile de fond sans grand intérêt ».
Naïma est heureuse à Paris et vit
dans l’ignorance de ses origines, elle ne comprend même pas la langue de sa
grand-mère. C’est seulement à la suite des attentats de 2015 qu’elle décide
d’établir un lien avec son pays d’origine :
« Est-ce qu’elle a oublié
d’où elle vient ? »
C’est ainsi qu’elle commence un
voyage dans le temps en allant à la rencontre de ce que son père fuyait en
gardant le silence, un silence de honte. Après un débat intérieur, Naïma décide
de quitter la France et de retourner en Algérie pour savoir qui elle est.
Ainsi, à la suite de Naïma, l’auteur fait voyager ses lecteurs en Algérie, à
Tizi-Ouzou et sur la crête où tout a commencé, du côté de Lakhdaria. De cette façon,
l’auteure fait connaître à ses lecteurs non seulement l’histoire de la guerre
d’Algérie, mais aussi les diverses traditions d’un petit village algérien.
Cette démarche de Naïma pour
trouver son origine pourrait être considérée comme une tentative pour conquérir
sa liberté, la liberté d’être soi, d’avoir une identité désentravée de toute
contrainte.
Ce qui montre l’habilité de
l’écrivain, c’est qu’elle a abordé une question d’actualité : la question
de l’identité et le phénomène de l’immigration forcée, à travers une tranche de
l’Histoire de l’Algérie, rendant ainsi utile et effective son influence sur les
lecteurs.
Zahra HAJIBABAIE
Université de Téhéran
Alexis RAGOUGNEAU
Niels
Éd. Viviane Hamy, 2017 (356 p.)
Un conte
héroïque, sombre et humoristique
Cette histoire commence en 1945, alors que le Danemark annonce sa
libération. Niels Rasmussen est un ex-saboteur danois avec un passé mystérieux.
Après avoir appris que son « frère de cœur » est en
danger, il décide de partir en France pour lui sauver la vie en laissant
derrière lui sa femme Sarah qui attend un enfant.
Tout d'abord, le style d'écriture est attachant. Il y a du suspense dans le
roman, un peu d'action, des moments tristes et d'autres joyeux, et même une
part de comédie. En outre, c'est une histoire qui parle avec passion de
problèmes comme la liberté d'expression et du fait de juger la vie des autres
sans avoir risqué la sienne.
Pourtant, j’avoue ne pas être complètement sous le charme de ce roman. Le
début est prenant et captivant. L’irruption du théâtre dans certains passages a
engendré un plaisir de lecture inattendu. Toutefois, après l’Acte I, l'histoire
se ralentit quelque peu mais elle repart de plus belle grâce à un retournement
de situation choquant qui m’a marqué.
Par ailleurs, j'ai l'impression que certaines informations liées au passé
de Rasmussen n'ont pas été assez détaillées ni expliquées... Cela a laissé
quelques parties de l'histoire plongées dans une opacité un peu déroutante.
La fin a failli me retenir, mais la déception était tout de même au
rendez-vous, car le roman laisse des questions sans réponse. De plus, il m’a
semblé que Sarah, la femme de Niels, est un personnage sous-exploité dans
l’intrigue.
Pour finir, cette histoire vaut vraiment d’être lue malgré tout. Le concept
et le contexte sont formidables mais l'exécution laisse à désirer.
Musab MASRI
Département de
Français
Faculté des
Lettres
Université de
Khartoum
Véronique OLMI
Bakhita
Éd. Albin Michel, 2017 (456 p.)
« Elle ne sait pas comment elle
s’appelle »
Et
qui parmi nous oublie son prénom ? Nommée Bakhita, cette personne est une sainte qui a réellement existé, mais
qui est aussi le protagoniste du roman de Véronique Olmi. L’auteure a découvert
inopinément son histoire durant sa visite dans une église et a été également
attirée par l’oubli de son nom. C’est pourquoi elle commence à faire des
recherches pour glaner plus d’informations jusqu’à ce qu’elle arrête toute
autre écriture pour se consacrer à ce roman.
Bakhita,
« la Chanceuse », est une Soudanaise qui a été réduite en esclavage à
5 ou 7 ans (parce qu’elle ne connait pas son âge). Cette petite fille
traumatisée a pu surmonter, bien qu’elle ait été face à un monde assez nouveau
et terrifiant, tous les obstacles notamment sa perte d’identité, la
discrimination et les abus sexuels qu’elle a subis, la faim, l’insomnie, la
peur de mourir… Ces barricades ont déjà été franchies avant même la rencontre de
Dieu qui est en fait une rencontre bouleversante de sa vie. En effet, elle
supplie son dernier maitre de la prendre avec lui en Italie où elle va faire la
connaissance d’un des amis de son maitre qui est un chrétien pratiquant. Elle
découvre ainsi Dieu grâce à lui et à son séjour dans le couvent. Ce roman qui
est formé de deux grandes parties est un livre passionnant, réaliste, religieux
et surtout didactique. Il est effectivement instructif vu qu’il informe tout
d’abord sur l’histoire d’une Sainte au XIXème siècle en décrivant
l’état des esclaves. Puis, il permet au lecteur de découvrir les trois vertus
théologales du christianisme : Foi, Charité, Espérance. De même, il
souligne que la réponse aux traumatismes vécus est l’Amour et non pas la
violence, ce qui est malheureusement inhabituel même au XXIème siècle.
Le
style rapide et saccadé valorise tous ces événements soigneusement relatés par
V. Olmi, même si la syntaxe brève et nominale domine dans le roman. Le récit de
cet apprentissage est basé sur la description mais il est aussi marqué par un
lexique péjoratif dominant dans la première partie, qui transcrit les scènes d’attaque et de
souffrance. C’est ainsi que le lecteur imagine en détails une scène qui peut
être choquante.
À la
fin de son histoire, Bakhita se rappelle de tout sauf de son prénom. Est-ce à
cause du refoulement des traumatismes ? Ou parce qu’elle voulait mener une
vie nouvelle sans discrimination ?
Peut-être
en lisant, chacun de nous donnera une réponse différente.
Karen KHOURY
Département de
Lettres Françaises
Université Saint-Joseph
Olivier GUEZ
La disparition de Josef Mengele
Éd. Grasset, 2017 (231 p.)
L’instinct de survie
La vie est un conflit constant pour vivre ou pour
survivre.
Josef Mengele a choisi pour sa part de maintenir sa vie en obéissant au commandant qui lui a réclamé d'aller dans un camp de concentration pour effectuer des opérations médicales sur les prisonniers. Il y a commis des crimes contre l'humanité, ce dont il s’est justifié face à son fils lorsque ce dernier lui a demandé ce qu'il a été faire à Auschwitz.
Quand j'ai lu cette partie, j'ai hésité quant au jugement que je pouvais porter sur Mengele. Est-il un monstre ? On peut se poser la question à la lecture de tous ses crimes contre l'humanité. Mengele a en effet considéré les Juifs comme des rats de laboratoire et il a tenté de les dépouiller même de leur âme d’être humain. Ils étaient pour lui les équivalents de moustiques qui font mal aux gens et qui causent des maladies.
Josef Mengele a choisi pour sa part de maintenir sa vie en obéissant au commandant qui lui a réclamé d'aller dans un camp de concentration pour effectuer des opérations médicales sur les prisonniers. Il y a commis des crimes contre l'humanité, ce dont il s’est justifié face à son fils lorsque ce dernier lui a demandé ce qu'il a été faire à Auschwitz.
Quand j'ai lu cette partie, j'ai hésité quant au jugement que je pouvais porter sur Mengele. Est-il un monstre ? On peut se poser la question à la lecture de tous ses crimes contre l'humanité. Mengele a en effet considéré les Juifs comme des rats de laboratoire et il a tenté de les dépouiller même de leur âme d’être humain. Ils étaient pour lui les équivalents de moustiques qui font mal aux gens et qui causent des maladies.
Olivier Guez a choisi avec pertinence l'histoire de
Mengele pour sonder les sentiments de la personne qui fuit après avoir commis
des crimes, avec la peur au ventre et la nécessité de se masquer derrière
divers pseudonymes. Mengele a souffert d'anxiété et d’instabilité. Il s'est
éloigné de sa famille, de sa maison et de sa patrie. Il a caché son nom et sa
nationalité et même son ancienne fonction. Il a dû travailler comme
manutentionnaire et fermier. Aussi sa vie a-t-elle radicalement changé après
ses opérations à Auschwitz.
Tous ces événements apparaissent alors comme une petite
punition pour tous les crimes perpétrés. Mengele était une personne égoïste, ne
pensant jamais qu’à lui-même, et se protégeant même au prix de la vie des
autres. Au fond, il n'a jamais aimé que lui-même. Peut-être est-ce dans la
nature des êtres humains que de pouvoir se conduire ainsi mais ce qui est
certain, c’est que l’accomplissement de ces opérations a certainement dépouillé
cet individu de son humanité et de ses sentiments de miséricorde.
Josef Mengele était médecin. Il ne pouvait pas nier sa
passion pour la découverte des maladies et pour l’autopsie des cadavres. Il a
cependant laissé derrière lui ses crimes et la colère des Juifs ainsi que leur
désir de vengeance.
Isra Ata
AL-MANNANE
Département de
français
Faculté des Lettres
Université de
Khartoum
Olivier GUEZ
La Disparition de Joseph Mengele
Éd. Grasset, 2017 (240 p.)
Mengele
ou le Caïn du XXe siècle
« Méfiance, l'homme est une
créature malléable, il faut se méfier des hommes » (p. 233)
La Disparition de Josef Mengele est un récit composé par Olivier Guez,
journaliste, essayiste et écrivain français né à Strasbourg en 1974. Il a suivi
des études dans le domaine des relations internationales et des sciences
politiques. Travaillant pour plusieurs journaux internationaux comme le New
York Times, Le Monde et Libération, pour ne citer que
quelques-uns, O. Guez a mené des enquêtes et des reportages sur l’Europe
centrale, l’Amérique latine, le Moyen-Orient, l’Union européenne, etc. Sa
formation et son parcours professionnel expliquent les informations historiques
dont foisonne son roman. D’ailleurs, cet intérêt pour l’histoire transparaît
dans certains de ses ouvrages antérieurs comme La Chute du Mur écrit en
collaboration avec Jean-Marc Gonin et L’Impossible retour, une histoire des
Juifs en Allemagne depuis 1945 qui a obtenu le Prix du meilleur livre
d’histoire et de recherche juives en 2007.
Dix ans après la publication de
ce livre, Olivier Guez nous offre La Disparition de Joseph Mengele. Cet ouvrage relate la biographie de Josef Mengele, le médecin-diable qui a
effectué des expérimentations génétiques sur des déportés – dont la plupart
étaient juifs – dans le camp d’Auschwitz avec une brutalité voire une barbarie
qui a dépassé toutes les limites. Ses crimes lui ont valu le surnom de
« l’Ange de la mort » ou encore l’appellation : « l'homme
qui a collectionné les yeux bleus ». Après la Seconde Guerre mondiale
et la défaite du régime nazi, il s’est évadé d’Allemagne pour rejoindre
l'Amérique du Sud sous un pseudonyme. Il s’est installé en Argentine, pays qui
lui a ouvert les bras et lui a permis de faire fortune. Toutefois, traqué par
les autorités allemandes et argentines, ainsi que par le Mossad, il s’est
réfugié au Brésil où il a mené une vie de misère. L’errance est donc une idée-clé dans le roman, et une comparaison peut y être faite entre
Mengele et Caïn dans la mesure où tous les deux ont été chassés de leurs
paradis après avoir tué.
Bien qu’il s’agisse d’une biographie, l’auteur a choisi
la forme du roman pour raconter l’histoire de Joseph Mengele car ce genre
littéraire lui permet d’imaginer les sentiments que pourrait éprouver son
personnage dans telle ou telle situation, comblant ainsi certaines lacunes
d’ordre psychologique et dévoilant les « zones d’ombre » qu’une biographie
ne pourrait éclaircir.
Mais en racontant l’histoire de Mengele, Olivier Guez
raconte également l’histoire d’une époque, celle qui a suivi la Seconde Guerre
mondiale. L’auteur nous plonge de fait dans un livre d’histoire dont les pages
prennent vie à mesure qu’elles sont racontées et vécues par le héros. Le
lecteur est frappé par la vérité historique qui caractérise ce roman.
D’ailleurs, l’auteur a ajouté à la fin du livre la liste des ouvrages qu’il a
consultés pour écrire ce chef-d’œuvre.
Outre la relation des événements historiques et la
description des atrocités commises par les nazis, l’auteur aborde des thèmes
importants. Ainsi met-il en évidence le rôle crucial que jouent les médias et
le cinéma dans la société. En effet, c’est grâce à ces derniers que le monde a pris
conscience des crimes perpétrés par le régime nazi contre l’humanité et contre
les Juifs en particulier. Fidèle à sa carrière d’écrivain, Olivier Guez
souligne le rôle cathartique de l’écriture. Celle-ci permettait à Josef Mengele
de se libérer temporairement des sentiments négatifs qui l’animaient, comme la
peur et le désespoir, en rédigeant un journal intime, activité grâce à laquelle
il décompressait. Un autre thème apparaît en filigrane dans le roman d’O. Guez,
à savoir l’importance de l’éducation et le rôle crucial que l’instruction joue
dans le développement des pays.
Quant au style d’Olivier Guez, il
se caractérise par la précision qui épouse le réalisme avec lequel l’écrivain
retrace la vie de Mengele et décrit le contexte historique où il a vécu. Les
mots allemands et espagnols qui émaillent le roman donnent au lecteur
l’impression d’être lui-même en train de suivre Mengele dans ses voyages. Il
est vrai que le roman est jalonné de passages cruels mais ils sont compensés
par des passages poétiques décrivant la nature et les moments de bonheur que
Mengele a vécus avec sa seconde femme.
Véridique, précis, cruel mais
aussi poétique, tels sont les mots qui pourraient décrire ce roman qui relate
la vie d’un homme condamné à l’errance. Cette âme tourmentée trouvera-t-elle un
jour la paix et la sérénité ? Il faut lire le roman pour connaître la
réponse à cette question.
Shahenda EL HALAWANY
Département de Langues et de Littérature françaises
Faculté des Lettres
Université d’Alexandrie
Olivier GUEZ
La Disparition de Josef Mengele
Éd. Grasset, 2017 (231 p.)
Il est médecin,
mais…
« Le bonheur n’est que dans ce qui
agite, et il n’y a que le crime qui agite ; la vertu… ne peut jamais
conduire au bonheur » écrit Sade. Or ce genre de bonheur est propre à une
figure historique remarquable surnommée « L’Ange de la mort ». De la
médecine au crime... C’est la vie du médecin allemand Josef Mengele. En effet,
durant la Deuxième Guerre mondiale, les victimes ne sont pas seulement celles
de la guerre mais aussi celles des camps de concentration d’Auschwitz. Des
milliers de Juifs y subissent les expérimentations des médecins nazis. Des
jumeaux, des nains, des enfants, des femmes… sont les victimes de Mengele, qui
pratique sur eux ses expérimentations violentes comme les amputations, les
injections de produits chimiques, les transfusions sanguines entre jumeaux…
C’est de cette manière qu’il manifeste sa passion pour la médecine.
Mais que va faire l’Allemagne avec tous
ses criminels après la guerre ? Ce sujet est traité par Olivier Guez dans
son roman La Disparition de Josef Mengele,
dans lequel il mène une enquête pour en savoir plus sur la vie de Mengele après
la Seconde Guerre mondiale et pour retracer cette vie à travers la forme
romanesque.
Olivier Guez est un journaliste et
écrivain français né en 1974 à Strasbourg. Il a déjà fait paraître un roman
intitulé Les Révolutions de Jacques
Koskas et a reçu en 2016 le prix allemand du meilleur scénario pour le film
Fritz Bauer, un héros allemand.
Le roman La disparition de Josef Mengele raconte la vie de ce médecin
criminel après la guerre. Caché sous divers pseudonymes et en fuite dans
plusieurs pays, Mengele peut faire le tour du monde juste pour se cacher et
échapper aux poursuites de l’Armée rouge et d’autres... D’Allemagne, il part
pour l’Italie, avant d’aller en Argentine, ensuite au Paraguay et enfin à Sao
Paulo au Brésil. C’est un long trajet, mais pas pour un criminel qui essaye de
sauver sa vie et de commencer une nouvelle vie avec une nouvelle identité dans
un nouveau pays. À chaque fois qu’il croit que tout va s’arranger et que la
poursuite des criminels de la guerre est terminée, son vrai nom est dévoilé, ce
qui l’oblige à changer à nouveau son identité et à fuir. Entre fuite et
changement de nom, Mengele réussira-t-il à vivre dans la sérénité ? Dans
quelles conditions vivra-t-il ? Restera-t-il connu sous un autre
nom ? Comment sera sa fin ?
Avec un style plein de suspense et des
phrases dédiées à la description de l’état psychique de Mengele, O. Guez va
nous retracer le parcours agité de Mengele et l’alternance de son état
psychique entre stabilité et instabilité. Le style de l’auteur évolue en
fonction de l’état psychique de Mengele. Ainsi, lorsqu’il décrit son état
stable, les phrases seront plutôt courtes et lapidaires, comme dans cet extrait
: « Ce 22 juin 1949, Helmut Gregor a gagné le sanctuaire
argentin » (p.16). Mais quand l’auteur parle de son état instable, le
rythme suit la modulation inquiète et devient plus heurté, investissant des
phrases longues et un vocabulaire affectif pour souligner l’intensité de cet
état : « Les yeux rouges, exorbités, il hurle, comme un fou, un loup
enragé, comme à Auschwitz, lorsqu’il découvrait des jumeaux sur la rampe,
Martha ne le connaît plus, renonce à s’approcher, il jette les couverts, les
verres, un bougeoir, tout ce qui se présente à lui, puis grimpe dans leur
chambre, fourre quelques affaires dans un sac de sport, des liasses de billets,
son passeport, se précipite dans sa voiture et démarre en trombe sans un regard
pour elle. » (p.94, 95)
Dans ce roman structuré en deux parties,
« Le Pacha » et « Le Rat », et un épilogue sous le titre de
« Le Fantôme », O. Guez se fait enquêteur qui fouille dans le passé
de Mengele pour aller au-devant de la vérité et comprendre ce qui s’est passé
avec lui après la guerre. Mais pourquoi utiliser la forme romanesque pour
raconter des faits que les livres d’Histoire peuvent par ailleurs nous
rapporter ? Est-ce dans le but de restituer le psychisme agité de Mengele ?
Qu’est-ce que peut nous apporter la forme romanesque de plus que les livres
d’Histoire ? En lisant le roman, les réponses à ces questions montrent le
pouvoir de la forme romanesque.
Enfin, ce roman est une source de savoir
parce qu’il pousse le lecteur à se poser des questions et à réfléchir sur de
nombreux aspects réels comme l’appartenance aveugle à un parti, le statut de la
société face aux crimes, l’influence de la guerre sur les êtres humains,
l’engagement et le but de l’engagement dans la guerre… Aussi la forme
romanesque apporte-t-elle aux thèmes historiques des caractéristiques
nouvelles. Elle constitue un cadre artistique privilégié à travers lequel les
thèmes se présentent dans la plus sublime manière avec un style unique. En
définitive, la forme romanesque est une fresque riche sur tous les plans et à
travers laquelle l’auteur s’exprime librement.
Sarah RAWAS
Département de Lettres Françaises
Université Saint-Joseph
Monica SABOLO
Summer
Éd. Jean-Claude Lattès, 2017 (160 p.)
Éd. Jean-Claude Lattès, 2017 (160 p.)
L’Écume des secrets
« Une vie
infinie, parfaitement linéaire, une vie qui ressemberait à un long corridor
blanc, dans lequel on progresserait sans jamais avancer, sur un tapis roulant
éclairé par un néon plus blanc encore », telle était la vie de Benjamin
Wassner, un jeune homme de trente-quatre ans, qui se plonge dans une enquête, à
la recherche d’une réalité enfouie sous l’eau. Embarqué dans une vie paralysée
et solitaire, il réalise qu’il doit retourner là où tout a commencé. Alexia,
Coco, Jill, Summer et lui jouaient à cache-cache au bord du lac Léman, lorsque
subitement, sa sœur, cette adolescente « à comportements à risques »,
s’évapora dans la clarté de l’été.
« J’écris
toujours sur l’adolescence, période de forte vulnérabilité, de métamorphoses,
d’émotions exacerbées, la sensation que tout le monde nous regarde, nous trouve
bizarre », affirme Monica Sabolo interviewée par Sarah Lasry. Couronnée
par le Prix de Flore en 2013 avec son premier roman Tout cela n’a rien à
voir avec moi, elle façonne Summer, un roman psychologique, poétique
et bouleversant, hanté de mystères et de fantômes.
Après la disparition
de Summer, un lourd silence a régné sur la vie familiale. Le vernis social qui
étouffait les émotions s’est écaillé, l’édifice de papier qui constituait leurs
existences s’est effondré et le monde cruel a néanmoins poursuivi sa route,
indifférent aux souffrances de la famille. Benjamin, le membre de la famille le
plus inoffensif et peut-être le plus insignifiant, passait alors de longues
journées à penser à sa sœur enfoncée dans les herbes, fondue dans la forêt,
devenue un nuage de lumière et de vide.
Dans la majorité des
316 pages constitutives de ce roman, Benjamin, le jeune homme tourmenté par les
rêves et les souvenirs, narre suivant le regard d’un enfant qui a refoulé tous
les secrets incompréhensibles de sa famille. Après vingt-quatre ans, il tente
de décrypter les mystères du surmoi
(parents, société bourgeoise), pour pouvoir analyser son ça représenté
par l’eau stagnante du lac. Et cela en vertu du fait que rien n’arrive jamais
au hasard, que tout est interdépendant et doit être expliqué. Il finit alors
par comprendre que Summer « n’était nulle part ailleurs qu’à l’intérieur
de [lui] ».
Les expressions
poétiques, sensuelles et métaphoriques scintillent au milieu du champ lexical
aquatique qui réfléchit l’obscurité des eaux et leur tristesse indicible. Le
voile des apparences est déchiré par l’écriture tranchante qui dévoile les
dérèglements et la complexité d’une famille huppée, caractérisée par une
féminité légère et fragile. On se demande pourtant comment une mère peut être
capable de vivre sans sa fille adorée. Quelles causes rationnelles
poussent-elles donc les parents à dissimuler les secrets à leur fils? En dépit
de la violence reçue du père, qu’est-ce qui incite une jeune adolescente à
fuguer ? Et enfin, est-ce que réellement on ne sait pas pourquoi les gens
agissent de la manière dont ils agissent ?
Batoul GHADDAR
Département de Lettres Françaises
Université Saint-Joseph
Un
certain M. Piekielny
Éd. Gallimard,
2017 (259 p.)
Un
certain M. Piekielny
Pendant son
enfance, Roman Kacew ou Romain Gary avait un voisin qui s’appelait M. Piekielny
et qui était comme ''une souris triste''. Devenant écrivain, Romain
Kacew n'a jamais oublié ce M. Piekielny et l’a même évoqué dans son œuvre La
Promesse de l’aube.
Le héros,
François-Henri, est bloqué par hasard à Vilnius, la ville où vivaient Romain
Gary et son voisin M. Piekielny. Commence alors une enquête à la recherche d'un
certain M. Piekielny. Les hypothèses sur l'identité de Piekielny se succèdent
tout en dévoilant progressivement les secrets de la vie de Romain Gary.
Mais M.
Piekielny a-t-il vraiment existé ou bien n’est-il que le produit de
l'imagination de Romain Gary? C’est au lecteur de trouver la réponse à cette
question.
François-Henri
Désérable est né le 6 février 1987 à Amiens en Picardie. C’est un écrivain qui
est un ancien joueur de hockey. Il a étudié les langues et le droit et, à l’âge
de 18 ans, il a commencé sa carrière d’écrivain.
Il a été
influencé par la guerre et inspiré par Romain Gary sur le plan intellectuel et
professionnel.
François-Henri
Désérable est un bon conteur, il joue au chat et à la souris avec son lecteur
pour l'entraîner dans sa quête. Le roman comporte des illustrations
intéressantes comme les photos, la lettre et le registre. De même, il a une
imagination féconde et un style séduisant qui aide le lecteur à “voir” ce
qu'il raconte.
Un Certain M.
Piekielny est ainsi un roman qui mérite d’être lu.
Ses personnages mystérieux susciteront votre curiosité, l'enquête menée par son
héros vous aidera à vous découvrir vous-même et vous suivrez pas à pas le
chemin parcouru par Francois-Henri à la recherche d'un certain M.
Piekielny.
Mariam
ABDELMESSIH & Lojayna MOSTAFA
Département de Langues et de Littérature françaises
Faculté des Lettres
Université d’Alexandrie
Monica SABOLO
Summer
Éd. J.-C. Lattès, 2017
(316 p.)
Un fantôme nommé
Summer
La famille est le noyau de la
société et c'est à elle que revient la responsabilité de prendre soins des
individus. Si l'on a des familles correctes, le résultat devrait forcément être
une société parfaite. Même si l’on ne peut pas atteindre la perfection, au
moins cette société-là aurait de moindres problèmes et presque pas de situation
dramatique à affronter.
Dans son troisième roman, Summer,
il semble que Monica Sabolo a voulu nous livrer un message sur l'importance de
la famille. Le roman commence par la disparition de Summer, la sœur unique de
Benjamin et son aînée.
Lors d'un pique-nique avec ses
copines, la jeune fille s'évapore pendant une partie de cache-cache, et ce sous
le regard de Benjamin. Celui-ci ne s’en remettra pas puisqu'il l'a vue marcher
devant lui juste avant de disparaître dans les fougères. Une investigation va
suivre le cas de cette disparition mystérieuse autour du lac Léman près du
domicile de la famille Wassner, une famille où Benjamin souffre d'être
marginalisé par son père et sa mère au profit de la blonde, sportive et
prometteuse Summer. Dans cette famille, il n’est au courant de rien et personne
ne lui parle puisque il n'est ni sportif, ni beau – en somme, il n'est pas
comme Summer. À force d'être marginalisé, il ira même jusqu’à penser qu'il a
été adopté. Même à l'école, on lui pose cette question lorsqu’on le voit avec
sa sœur, belle et rayonnante comme sa mère : « tu es sûr que tu n'es
pas adopté ? » Aussi Benjamin consulte-t-il des psychiatres à cause de la
dépression dont il est victime à la suite de la disparition de Summer.
Vingt-cinq ans après, il essayera de découvrir les secrets de sa famille. C’est
une amie de sa mère qui lui révèle un petit bout de la vérité. La nouvelle lui
tombe dessus comme la foudre, ce qui lui rappelle ce qu'il voyait à la maison
avant la disparition de sa sœur, ces choses qu'il taisait pour sauvegarder les
apparences de cette famille qui semblait heureuse jusqu’à ce qu’advienne la
disparition de Summer. Il décide alors d’en savoir plus. Le policier qui
conduit l'enquête lui livrera un autre secret plus étonnant encore, mais je
vous laisse le plaisir de le découvrir par vous-mêmes par la lecture de ce
roman magnifique.
Summer nous rappelle l'œuvre du grand écrivain norvégien Ibsen et plus
précisément sa pièce Les revenants où les enfants répètent les mêmes
fautes que leurs parents.
Le suspense reste entier jusqu'à
la fin avec un style parfait et une écriture sublime, donc à découvrir
absolument.
Abubakr SALMAN
Département de
français
Faculté des Lettres
Université de
Khartoum
Véronique OLMI
Bakhita
Éd. Albin Michel,
2017 (456 p.)
Un ange
victime de la bêtise humaine
L’histoire de Bakhita débute dans les années 1960 avec une petite fille de
la tribu Dajou, tellement noire qu’elle ressemble à la nuit. Après avoir été
enlevée à sept ans par des ravisseurs inconnus, elle est vendue, achetée, puis
à nouveau rachetée et revendue tout comme une pierre que l’on jetterait
n’importe où. La petite fille tombe, par une chance miraculeuse, dans les mains
du Consul italien au Soudan qui ensuite l’emmène en Italie où elle découvre une
autre vie, différente de sa vie en Afrique.
L’écrivaine nous retrace une histoire décrivant la barbarie et la
sauvagerie de l’esclavage que les Noirs ont subi à l’époque. Elle nous décrit
les faits du récit d’une façon incroyablement structurée mais aussi très, et
peut-être trop détaillée. Certains passages n’apportent en effet rien au récit.
Tout en lisant cette histoire bouleversante, j’ai été étrangement marquée
par certaines choses. Par exemple, par
la façon dont Bakhita traite les petits, par sa méfiance et sa réticence à
s’attacher aux autres parce qu’il y a cette séparation qui peut arriver à tout
moment. J’ai aussi été touchée par sa gentillesse extrême, qui la conduit à
baisser la tête en parlant aux autres, par son obéissance permanente aux ordres
de ses maîtres, sa décision définitive de ne pas se marier en raison du simple
fait qu’elle est noire, par l’oblitération définitive de son nom de naissance,
par la façon dont elle vieillit et enfin, par sa mort inattendue. Ce sont tous
ces moments qui m’ont ému et je n’ai pas réussi à maîtriser mes larmes qui ont
à un moment donné brusquement coulé en abondance.
Le fait que les deux Guerres mondiales soient abordées dans le récit m’a
considérablement aidée à le comprendre en profondeur. En plus, cela ma donné
l’impression d’aller vers une fin dramatique et tragique.
Enfin et malgré la curiosité très poussée de l’écrivaine, l’histoire de
Bakhita mérite néanmoins d’être découverte puisque c’est une réalité vécue.
Mohamed Yagoub HANAFI
Département de français
Faculté des Lettres
Université de Khartoum
Alexis
RAGOUGNEAU
Niels
Éd.
Viviane Hamy, 2017 (356 p.)
D’amour
ou d’amitié
1945.
Voilà la Seconde guerre mondiale achevée emportant une grande vague de
traumatismes accablant tout un chacun. Après avoir déposé ses armes de
résistant, Niels Rasmussen quitte précipitamment le Danemark pour Paris,
laissant une femme au ventre joliment
arrondi, et ce afin de venir en aide à Jean-François Canonnier, un ami pris
dans les tenailles des procès de l’épuration. Ce retour en France lui permettra
d’accéder à une vérité amère et sanglante, celle de la rafle du Vel d’Hiv et
des camps de concentration.
Dès
les premières pages, le lecteur s’embarque dans une aventure périlleuse où
s’entremêlent merveilleusement les genres littéraires en vue de produire un
roman puissant et de rechercher une vérité encore obscure. Construite en
saynètes théâtrales et narrations romanesques imbriquées, l’histoire met
également en lumière plusieurs auteurs et dramaturges de l’époque qui
s’affrontent verbalement, prenant la défense d’une littérature dénonçant vices
et atrocités d’une période assez sombre et macabre de l’Histoire de
l’Europe.
Au
gré des pages, le lecteur perd le fil conducteur et se sent toutefois exclu de
l’histoire. L’originalité du style ne pardonne pas le trop-plein de dialogues
et le statisme de plusieurs scènes qui ralentissent le cours des événements.
Les nombreux passages explicatifs prennent le pas sur l’action et poussent le
lecteur à se poser maintes questions : cette amitié liant Niels et
Canonnier, mérite-t-elle autant d’efforts, de sacrifices et de dangers ?
Ne supportant pas l’idée de ne plus être joué ni lu, Jean-François Canonnier
sombre dans la folie pure de l’artiste et tombe dans les dénonciations les plus
puériles.
Face
à ce roman inhabituel, le lecteur ne peut s’empêcher d’éprouver des sentiments
mitigés. Quand oserons-nous nous émanciper de cette Seconde Guerre Mondiale et
nous concentrer sur les guerres psychologiques qui pèsent sur nos sociétés et
notre génération ? Le passé ne s’effacera jamais mais il est grand temps
de le laisser derrière nous et de canaliser nos esprits et nos énergies vers ce
qui compte le plus : Le présent. À méditer…
Quoi
qu’il en soit, santé « à la littérature et aux littérateurs »…
Nour SABA
Département de Langue et Littérature
françaises
Faculté des Lettres
Université Saint-Esprit de Kaslik
Éric VUILLARD
L'ordre du jour
Éd. Actes Sud, 2017 (150 p.)
Les coulisses de l'Histoire
Dans un court récit, Eric Vuillard
nous révèle un pan de l'Histoire européenne avec un effet littéraire qui aide à
découvrir des détails invisibles.
En effet, Eric Vuillard met en
lumière les années 1930, en cherchant à faire coïncider les dates avec la
réalité historique pour la réussite de son œuvre.
Le roman est consacré à la lutte
d'Hitler pour arriver au pouvoir et pour récupérer certains territoires voisins
de l’Allemagne. Il commence par une rencontre avec certaines figures politiques
à Berlin le 20 janvier 1933.
L'auteur nous montre la corruption
des hommes du pouvoir en critiquant leurs actions et en essayant simultanément
de dévoiler les non-dits de la Deuxième Guerre mondiale. Il nous pousse aussi à
penser à des problèmes qui se posent
dans son pays et aux raisons possibles qui les suscitent. Il critique
aussi le fait que l'argent joue un rôle capital : celui d’un élément
essentiel du pouvoir qu’il faut toujours chérir.
Le roman se distingue par le fait de
raconter une histoire en y ajoutant des pistes pour la rendre encore plus
intéressante.
Alaa NADIR
Faculté des Lettres
Département de Français
Université de Khartoum
Véronique
OLMI
Bakhita
Éd. Albin
Michel, 2017 (456 p.)
Bakhita
« Elle écoute et elle comprend quelques
mots, qui disent qu'elle a à peu près sept ans, qui disent qu'elle s'appelle
Bakhita »
« Comment tant de bonté peut naitre de tant
de souffrances ?! »
Née à Nice en 1962, Véronique Olmi est une
comédienne, écrivaine et dramaturge française. Elle est la petite-fille de
Philippe Olmi, ministre de l'Agriculture, député des Alpes-Maritimes et maire
de Villefranche-sur-Mer durant vingt ans. Après avoir suivi des études
d'art dramatique, elle a été assistante à la mise en scène pour Gabriel Garran
et Jean-Louis Bourdon de 1990 à 1993. Son roman Cet été-là
reçoit le prix des Maisons de la Presse en 2011.Véronique Olmi a décroché le
prix du roman Fnac 2017 avec son treizième roman, Bakhita, qui
esquisse la biographie romancée de Joséphine Bakhita (1869-1947), une enfant
volée devenue sainte patronne du Soudan.
L'auteur critique l'esclavage au XIXe siècle à travers l’histoire de Bakhita, l’héroïne du
roman, qui a vécu beaucoup d'événements dans sa vie : de l'esclavage à
l’émancipation puis à la sainteté. Le livre est divisé en deux parties. Étant
illettrée et ne savant même pas son nom, Bakhita est réduite en esclavage à
l'âge de sept ans à la suite d’une razzia, avant qu’elle ne soit achetée par un
consul Italien. Adulte, elle devient nourrice dans une famille où elle s'occupe
de la petite Mimina pour qui elle se prend d’affection…
Bakhita reste douce et gentille malgré toute la
souffrance qu'elle a endurée. Tout au long du roman, on rencontre des personnes
qui essayent de l'aider, comme Stefano, qui est arrivé à convaincre la mère de
Mimina d'accepter que Bakhita aille à l'Institut pour s'instruire.
Bakhita est noire et sa couleur lui a causé
beaucoup de mal « à l'intérieur d'elle » : le mauvais
traitement et le racisme sont fréquemment soulignés ici par l'auteure à travers
les réactions des personnes qui rencontrent la petite, et jusqu’aux religieuses
qui avaient ce regard étrange parce qu’elles considéraient la couleur noire
comme un péché.
Une seule religieuse, cependant, a aidé Bakhita en
lui parlant du christianisme et du Christ. Avec le temps, Bakhita a appris à
prier Dieu chez qui elle a trouvé l’amour absolu. Pour la première fois, elle a
eu le choix et elle a choisi de devenir libre. Ensuite, elle a décidé d’être
religieuse, le devenant effectivement le jour de la fête du Sacré-Cœur. Les
religieuses ont alors écrit son histoire afin qu’elle soit publiée sous forme
de feuilleton et ensuite en livre. Bakhita a continué à prier jusque dans sa maladie, avant qu’elle ne s’éteigne à
l'âge de 78 ans.
En 2000, Jean-Paul II déclare Bakhita Sainte et
elle devient la première Sainte soudanaise et la première Africaine à être
élevée à la gloire des autels sans être martyre. Le pape avait alors déclaré
dans son adresse : « il n'y a que Dieu qui puisse donner
l'expérience aux hommes victimes des formes d'esclavage anciennes ou nouvelles ».
Dans son roman, Véronique Olmi critique le racisme
et l'esclavage à travers la vie de Bakhita avec un style simple et détaillé
basé principalement sur l’emploi des adjectifs, pour aider le lecteur à bien
pénétrer la personnalité de l'héroïne ainsi que son esprit et ses sentiments à
chaque phase de sa vie.
De plus, elle souligne l'influence de l'instruction
et de la religion sur l'Homme et cela par la mise en relief du décalage déjà
relevé dans la vie de Bakhita, avant et après son recrutement dans un institut
religieux. C’est ainsi que nous pourrions considérer ce roman comme un message
adressé à toutes les personnes souffrant sur Terre : c’est avec les
principes moraux et la culture qu’on arrive à vaincre la souffrance et à
améliorer notre existence.
Amani AYMAN & Fatma MOHAMMAD
Département
de langue et littérature françaises
Faculté des Lettres
Université d’Alexandrie
Alice ZENITER
L’art de perdre
Éd.
Flammarion, 2017 (506 p.)
L'art de perdre
Comme beaucoup d'anciens Maghrébins qui
ont quitté leur pays pour se réfugier en France, l’ex-pays colonisateur, les
personnages de ce roman d’Alice Zeniter représentent la souffrance de ces
peuples-là. Les colonisateurs avaient déjà fait de leur langue maternelle,
l’arabe, un dialecte mélangé d'arabe et de français, à tel point que les
« indigènes » ne maitrisaient plus au final ni l'arabe ni le français.
Si bien que leur identité a été mise à
mal et qu’ils en sont arrivés à ne plus savoir de quelle nationalité ils
étaient. À titre d’exemple, l’un des personnages, Ali, le grand-père de Naïma
faisait partie de cette catégorie singulière du peuple algérien.
De plus, le fait d'être
"harki" n'arrange pas les choses, dans la mesure où les
"harkis" sont mal considérés par leurs concitoyens en Algérie, et mal
acceptés par les Français en France. Des deux côtés, ils étaient rejetés.
Les Maghrébins qui renoncèrent à vivre
dans leur pays d’origine (Algérie, Tunisie, Maroc) en croyant qu'ils allaient
trouver ailleurs une vie meilleure, furent confrontés au racisme des pays
d'Europe, en particulier de ce pays même qui avait profité des décennies
entières des richesses des pays du Maghreb.
L’une des pertes importantes qui
accentua le trouble identitaire fut sans doute celle de la langue arabe, au
profit de la langue française. Cette transformation s’accompagna d’un mimétisme
social aliénant, les nouveaux immigrés oubliant ou ignorant leurs propres
cultures et traditions, tout en n'étant pas vraiment acceptés dans leur pays
d'adoption, la France.
Pour Naïma, la petite fille d'Ali, les
choses ne devaient pas prendre cette tournure. Elle part donc à la recherche de
sa véritable identité en allant à la rencontre de ses origines, malgré la
difficulté qu'elle aura de parler l'arabe ou même de l'apprendre. Elle décide
en effet de retourner dans le pays de ses aïeux, pour se retrouver et trouver
sa vraie identité. Le roman montre ainsi la souffrance, la tristesse et la
nostalgie de ces personnages.
Malak Sameer
ISIEFAN
Département
de Français
Université
Al Aqsa
Eric VUILLARD
L’ordre du jour
Éd. Actes Sud, 2017
(160 p.)
Dans les coulisses de la Grande Histoire
Quelles circonstances ont favorisé la montée du nazisme
au XXème siècle ? Comment un homme du peuple est-il arrivé en
un temps record au pouvoir en Allemagne ? Quels compromis ont contribué à
l’annexion de l’Autriche au Reich en 1938 ? Dans son dernier roman, Éric
Vuillard examine lucidement les prémices de la Deuxième Guerre mondiale en
vue de répondre à ces questions qui demeurent à l’ordre du jour.
Le roman s’ouvre sur une date fatidique : le 20
janvier 1933. Ce jour-là, vingt-quatre figures prépondérantes du monde
industriel rencontrent Hitler à Berlin. Invités par le discours du Führer à
faire face au communisme, ces derniers consentent au financement du parti nazi
qui remportera les élections et accablera la population d’une série
d’atrocités. Qui sont ces hommes qui ont fait chavirer le sort de notre
existence ? « Les vingt-quatre ne s'appellent ni Schnitzler, ni Witzleben,
ni Schmitt, ni Finck, ni Rosterg, ni Heubel, comme l'état civil nous incite à
le croire. Ils s'appellent BASF, Bayer, Agfa, Opel, IG Farben, Siemens,
Allianz, Telefunken. Sous ces noms, nous les connaissons […]. Ils sont là,
parmi nous, entre nous. Ils sont nos voitures, nos machines à laver, nos
produits d’entretien, nos radios-réveils, l’assurance de notre maison, la pile
de notre montre » (p. 25).
Avec minutie et exactitude, É. Vuillard n’hésite donc pas
à divulguer les acteurs anonymes de la Deuxième Guerre mondiale ainsi que leurs
manœuvres infâmes qui ont pourtant été effectuées dans la plus parfaite
légalité. Grâce à son style empreint d’humour et d’ironie, cet écrivain et
cinéaste français dénonce également une des raisons qui empêchent les nations
de prospérer : la réintégration sociale de certains dictateurs, tel que le
chancelier autrichien Kurt Schuschnigg : « Il a dit non à la liberté
de la presse. [...] Il a dit non au droit de grève, non aux réunions, non à
l’existence d’autres partis que le sien. Pourtant, c’est bien le même
qu’embauchera après la guerre la noble université de Saint Louis […] comme
professeur de sciences politiques. Sûr qu’il en connaissait un bout en sciences
politiques, lui qui avait su dire non à toutes les libertés publiques. » (p.
77-78)
Grâce à sa richesse en références historiques, le roman
nous séduit par son authenticité et son originalité. En outre, les commentaires
humoristiques du narrateur ainsi que les anachronismes narratifs réitérés
créent un effet de suspense et rendent la lecture des faits plus souple.
D’ailleurs, situé à la croisée du roman politico-historique et de l’essai, L’ordre
du jour s’inscrit dans la lignée de l’œuvre romanesque de Vuillard qui
n’hésite pas à montrer la grandeur de l’être humain que les faiseurs de la
Grande Histoire dérobent à bon escient.
« On ne tombe jamais deux fois dans le même abîme.
Mais on tombe toujours de la même manière ». (p. 150) En mettant à nu
lucidement les grands pactes faustiens de l’Anschluss qui ont contribué au
déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, Vuillard nous incite vivement à
réfléchir sur des problèmes actuels assez graves et à nous poser des questions
fondamentales : Qui finance les groupes terroristes sévissant dans le
monde d’aujourd’hui ? Pourrions-nous un jour éradiquer, ou du moins
limiter, la corruption – tant matérielle que morale – qui porte atteinte à
notre droit de vivre en paix et en sécurité ? Serons-nous un jour
gouvernés par des responsables consciencieux ? Ne sommes-nous pas les complices
silencieux de cet attentat à l’indépendance de nos nations ? N’est-il pas
temps de réagir ?
Layal DAGHER
Département de Langue et Littérature Françaises
Faculté des Lettres et des Sciences humaines – section 2
Université Libanaise
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire